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ne voulait le faire qu’à bon escient, après avoir essayé de satisfaire aux plaintes légitimes des ouvriers, sûr au moins d’avoir tout fait pour répondre à leurs réclamations légitimes. Il demanda donc qu’on lui remît à cet égard des projets de décrets. Bismarck ne voulait pas en entendre parler. L’Empereur porta la question devant le Conseil d’État et réussit enfin, malgré l’opposition de Bismarck, à faire rendre les décrets. » L’Empereur avait proposé une conférence internationale, et secrètement le chancelier s’efforçait de l’empêcher. À ces différends déjà très accentués s’en ajoutèrent d’autres qui aigrirent tout à fait les rapports de l’Empereur et de Bismarck. Celui-ci aurait voulu, conformément à un ordre de cabinet en date de 1852, empêcher les ministres d’aller prendre les ordres de l’Empereur chez lui. Il fit à ce propos des représentations dont Guillaume II ne tint aucun compte. Mieux encore, l’Empereur réclama la suppression de l’ordre de cabinet, et voulut lui-même surveiller les relations du chancelier avec les chefs des groupes du Reichstag. La visite que Windthorst avait faite à Bismarck fut l’objet de vifs reproches de la part de Guillaume II. Les trois dernières semaines furent remplies de discussions désagréables à l’Empereur et au chancelier. « C’était, comme Ta dit l’Empereur lui-même à Hohenlohe une mauvaise passe, et la question était de savoir laquelle des dynasties régnerait, des Hohenzollern ou des Bismarck. En politique étrangère, l’Empereur prétendait que Bismarck suivait son propre chemin et lui cachait une bonne partie de ce qu’il faisait. Ainsi, le chancelier avait même fait courir le bruit à Saint-Pétersbourg que l’Empereur comptait suivre une politique anti-russe. »

J’ai, dans le précédent article, cité une lettre du prince de Hohenlohe où celui-ci écrivait que l’Empereur avait fait savoir aux chefs de corps à Strasbourg que Bismarck voulait laisser l’Autriche en plan, au mépris de la Triple-Alliance, et permettre à la Russie d’occuper militairement la Bulgarie avec la neutralité bienveillante de l’Allemagne. Ce fut une des raisons qui provoquèrent la rupture entre l’Empereur et le chancelier, car Guillaume II avait promis à l’Autriche d’être un allié fidèle et entendait tenir sa parole. Dans la discussion qui précéda sa démission, Bismarck s’emporta à tel point que l’Empereur dit quelque temps après au grand-duc de Bade : « Il s’en est fallu d’un cheveu qu’il ne me lançât l’encrier à la tête ! »