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construisit l’arc de triomphe élevé en 1574, à Venise, pour la réception de Henri III. Le carnaval, les retraites aux flambeaux, les feux d’artifice sont d’invention italienne. Ici même, à Vicence, dès le XIVe siècle, un vieux chroniqueur nous parle d’une fête donnée par le collège des notaires où « une composition ignée s’enflamma avec un tel fracas que la plupart des assistans frappés de terreur tombèrent à la renverse ; on vit en traits de feu le Saint-Esprit, les Prophètes et une colombe qui descendait sur l’autel. »

D’ailleurs, malgré la guerre et les pillages, ces provinces lombardo-vénitiennes furent toujours riches. Même aux dures années des XIVe et XVe siècles, on trouve des communes obligées de prendre des règlemens somptuaires. L’industrie des étoffes précieuses avait un tel développement que des villes comme Vicence envoyaient chaque année à Venise plus de cent pièces de brocart d’or ou d’argent. On comprend qu’une noblesse et une bourgeoisie si aisées aient demandé à Palladio de leur construire les palais de Vicence ou ces somptueuses maisons de campagne dont nous n’avons plus guère que les ruines glorieuses. Car hélas ! ici, tout se meurt. Les statues, les colonnes, les escaliers, les murs s’effritent. Entre les pierres ou les briques disjointes, l’herbe pousse. Jadis, je me souviens d’avoir fait le souhait qu’un riche propriétaire vînt restaurer cette Rotonde… Aujourd’hui, je n’ose plus émettre un tel vœu. Ce serait peut-être la pire des choses, la plus sûre mort de tant de beauté. Il vaut mieux que cette villa ne soit pas remise à neuf, réparée, modernisée, éclairée à l’électricité… Tout au plus faut-il désirer qu’on en empêche l’écroulement, qu’on prolonge le plus possible, en lui laissant tout son caractère, ce vestige d’une splendeur et d’une époque à jamais disparues.

Nul édifice ne présente plus de majesté et je conçois l’enthousiasme de Gœthe. « Je ne crois pas, dit-il, qu’il soit possible de pousser plus loin le luxe de l’architecture. Les quatre péristyles et les escaliers occupent plus de place que le palais lui-même ; chacune des façades ferait une grandiose entrée à un temple… Les proportions de la salle sont admirables. » Il vante aussi l’art avec lequel a été choisi l’emplacement. « De même que l’édifice se voit dans sa magnificence de tous les points de la contrée, la vue qu’on a de la Rotonde est infiniment agréable. On voit couler le Bacchiglione, emportant les barques vers la Brenta… »