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en septembre que je préfère venir au bord de ces lacs dont les noms seuls, aux journées tristes de Paris, me font battre le cœur. Lacs et jardins italiens, ah ! pourquoi ces simples mots, plus que tous autres, m’émeuvent-ils ? Oh ! je ne fais point, comme certains, le vœu de vivre toujours sur leurs terrasses parfumées, à Bellagio ou à Pallanza ; mais il est doux de s’y arrêter une semaine, de savoir qu’on les a comme refuge, asile de paix ou asile d’amour…

Leur charme opère immédiatement. A peine les a-t-on vus luire sous le soleil qu’on est conquis. Tout de suite ils sont familiers. Et cette subite impression que donne un lac, une ville, une contrée ne saurait tromper ; elle est presque définitive. Bonne ou mauvaise, il est rare qu’elle se modifie ; en tout cas, elle ne s’efface jamais complètement. Comme entre gens qui s’abordent pour la première fois, de la simple rencontre naît la sympathie, l’indifférence ou l’hostilité. Il semble que nous prenions aussitôt contact avec l’âme de ce lac, de cette ville ou de cette contrée, cette âme faite de tant de choses, de l’air qu’on y respire, de la lumière qui l’éclaire, de la ligne du rivage ou des rues, des visages qu’on y rencontre, de la courbe des collines, de mille autres détails visibles ou invisibles.

Les lacs de Savoie, de Bavière ou de Suisse sont trop froids, trop sublimes ou trop austères ; ils n’ont pas cette noblesse, cette justesse de proportions et aussi cette langueur qu’on ne trouve réunies qu’ici, sur ce versant des Alpes qui regarde la terre de lumière et de beauté. Taine, qui a vanté le lac de Côme, ne l’a pas vraiment aimé. Il n’y resta qu’un jour. Tout radieux de songer qu’il va enfin ne plus voir des tableaux, mais se retremper dans la nature, il s’embarque au matin, fait le tour du lac sans même descendre à terre, rentre à Côme dans l’après-midi et consacre deux pages à ce qu’il vient d’admirer. Le lendemain, il ne résiste pas à la tentation d’aller visiter la cathédrale qu’il a seulement aperçue la veille ; il y passe de longues heures et emploie sa journée à disserter sur la fusion de l’italien et du gothique ! N’aurait-il pas mieux valu qu’il s’arrêtât à Bellagio pour savourer simplement la joie de vivre dans les jardins de la villa Serbelloni ? On goûte mal un paysage quand on n’a d’autres préoccupations que d’en tirer quelques pages documentées. Le vieux Dumas déclare qu’au bord de ces lacs, dans le plus beau pays du monde, il fit les trois plus mauvais articles qu’il ait jamais écrits. Et je