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la langueur de l’air, au bord d’une eau aussi bleue. On peut y goûter la volupté des choses devant d’aussi merveilleux panoramas. La mer en augmente même la majesté ; mais justement, à cause de cette majesté, de son infini, de sa mobilité surtout, elle a une prise moins immédiate, moins physique en quelque sorte. Elle ne borne ni le rêve ni le regard ; elle nous offre trop l’aventure ; elle n’est pas comme le lac à la mesure de notre vue et de nos désirs. La mer est une femme qui danse au loin dans un mouvant décor ; les lacs d’Italie sont de belles jeunes filles qui se pâment pour nous. Il n’y a qu’à tendre les mains pour les atteindre et les étreindre. Comme ces roses d’octobre qu’un simple heurt défeuille, elles sont prêtes à tomber dans nos bras. Il semble qu’elles s’offrent à nous, pareilles à la nymphe dont parle Poli tien dans une de ses Stanze, qui s’avance, chargée de fleurs, comme le Printemps de Botticelli, et dont il vante, d’un mot presque intraduisible, la démarche glissante et suave., il dolce andar soave.

Une vision moins riante me ramène à la réalité. La barque passe devant Tavernola, où je me rappelle avoir déjeuné un matin, sous une tonnelle de roses. Le délicieux village n’est plus qu’un amas de ruines, de maisons éventrées. Le 3 mars 1906, toute une partie du bourg a glissé et disparu sous l’eau… Mais à quoi bon s’attrister ? Cela ne nous enseigne-t-il pas une fois de plus qu’il faut jouir de la vie pour les quelques jours qui nous restent, quelques jours déjà comptés ?


V. — BRESCIA

Si Vicence est la ville de Palladio, Brescia est celle du Moretto. Certes, par bien d’autres côtés, Brescia offre un très haut intérêt. Mais, dans ces cités italiennes, si riches en merveilles de toutes sortes, il faut savoir se borner et, parmi tant de fleurs écloses dans un même massif, choisir les plus belles et les plus rares.

Jusqu’à nos jours, la ville intéressa peu les voyageurs. Stendhal, qui la vit en 1801, nous dit qu’elle est « assez jolie, d’une grandeur médiocre, située au pied d’une petite montagne et abritée du vent du Nord par son fort situé sur un mamelon de la montagne. » Voilà tout ce qui frappa l’auteur de la Peinture en Italie dans la patrie du Moretto. Taine ne s’arrêta pas entre