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formelles ententes des gouvernemens, tienne à des causes profondes ; L’opinion européenne n’en connaît qu’une seule, la question des salaires, la différence des prix qu’exigent pour un même travail l’ouvrier japonais et l’américain ; et, si ce n’est point là, comme nous le verrons, que s’arrêtent les difficultés, c’est bien de là, en effet, qu’elles partent. Il faut tout d’abord nous en rendre nettement compte.

« Dans l’Ouest américain, écrit un excellent juge, M. Louis Aubert, c’est un heurt entre la main-d’œuvre la plus ambitieuse du monde, la plus exigeante par ses besoins, la plus aristocratique de manières, la plus gâtée de hauts salaires, et une main-d’œuvre humble, résistante, très capable, et pourtant moins exigeante que la plus basse main-d’œuvre d’Europe[1]. » En comparant ce que gagnent au Japon les ouvriers du bâtiment, qui sont les mieux rétribués, avec le salaire des mêmes ouvriers à San Francisco, on s’aperçoit que le travail d’une heure est payé deux fois plus en Californie que celui d’une journée au pays du Soleil Levant : d’après des chiffres cités au Sénat de Washington, le 7 janvier 1907, les charpentiers gagnent 29 sous par jour au Japon contre 50 par heure à San Francisco ; les plâtriers, 30 contre 75 ; les tailleurs de pierre, 34 contre 56 et un quart ; les poseurs de briques, 37 contre 75 ; les forgerons, 26 contre 40 et un tiers. Et sans doute l’ouvrier japonais ne se contente point, en Amérique, de ce qu’il gagnait chez lui ; ce n’est pas pour cela qu’il a émigré. Mais, alors même qu’il triple et quadruple son salaire, il n’atteint pas encore celui des ouvriers blancs, et, par conséquent, il fait tort à ceux-ci. Arrivât-il, du reste, à se faire payer autant qu’eux, — et c’est la solution que suggère d’abord un examen superficiel du problème, — il ne leur serait pas pour cela un rival moins à craindre ; car, dépensant deux ou trois fois moins, il aurait vite fait, par ses économies, de s’élever au-dessus d’eux. En réalité, les Japonais gagnent toujours moins. Comme ils possèdent maintenant tous les métiers, ceux de leurs compatriotes qui ont su devenir patrons et qui les emploient, peuvent soumissionner des entreprises ou exercer le commerce à des conditions notablement plus douces que leurs concurrens américains. Et l’on s’explique par-là, soit dit en passant, que les partisans de l’exclusion ne se recrutent plus seulement dans le

  1. Américains et Japonais, par Louis Aubert, 1 vol. in-16, A. Colin, p. 170.