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l’humiliation ; c’est parce qu’ils savent que là ils trouveront moins de concurrens de leur race et feront fortune plus vite ; c’est aussi parce qu’ils s’y instruisent mieux, qu’ils y acquièrent une connaissance plus complète de tout ce qui assure la prospérité des individus et de la nation.


III

À ce double et grandissant conflit de l’idéal et des intérêts, à cet antagonisme qui est à la fois moral et économique, n’y a-t-il vraiment aucun remède, et, s’il en existe, où peut-on le chercher ? Des nombreux problèmes qui agitent aujourd’hui le monde, il n’en est peut-être pas de plus grave, s’il est vrai que celui-là nous montre allant à l’encontre l’un de l’autre, et exposés par-là même à un choc formidable, les deux peuples qui représentent, chacun de son côté, la portion la plus énergique et, à maints égards, la plus avancée des races jaune et blanche, des deux espèces d’humanité qui, après s’être jusqu’ici partagé la terre, commencent à se la disputer.

Un des héros de Wells, Japonais du XXIIe siècle, suggère une solution qui serait sûrement la plus douce et la plus élégante. « Enfin, dit-il, vous, Européens, vous avez fini par reconnaître que nous aussi, nous étions des Blancs ! » De nier ainsi la difficulté est une attitude qui plaît aux philosophes, aux artistes, aux sociologues en chambre, et il se peut que dans deux cents ans elle se trouve, en effet, justifiée ; pour le moment, la réalité est autre, et les deux races sont irréductibles. Du moins elles se croient telles, et par le fait même elles le sont, puisque cette conviction les empêche d’associer leur travail et leur vie de famille, puisqu’elles ne veulent ni loger ensemble, ni faire partie des mêmes groupemens, encore moins s’unir par mariage.

Des solutions plus précises et d’apparence pratique sont quelquefois proposées, mais qui ne résistent pas à un examen réfléchi. Telle est, par exemple, l’idée d’une conférence internationale qui soumettrait à des règles convenues les conditions de l’immigration, presque entièrement abandonnées jusqu’ici aux Compagnies de transport. Croire à l’efficacité de tels règlemens dans le conflit qui nous occupe, c’est oublier que les Japonais n’accepteront jamais d’autres conditions que celles qui seront faites aux Européens, et que, d’autre part, les Etats-Unis, s’ils