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chose qui doit contribuera la gloire de l’Empereur, fils du Ciel, incarnation visible de la divinité et de la nation[1].

De ces causes primordiales, intimement liées à la formation religieuse, on tirerait aisément d’autres différences par voie de déduction, et l’observation en montrerait aussi d’importantes quoique moins abstraites, comme la secrète irritation de ne pouvoir se comprendre et de constater, tout en se méprisant, qu’il faut tenir compte les uns des autres. Mais ce n’est pas ici le lieu de tant philosopher, et peut-être voudra-t-on reconnaître, sans qu’il soit besoin de creuser plus à fond, qu’un grand pas serait fait vers le rapprochement le jour où Blancs et Jaunes, pénétrés d’Evangile, se regarderaient comme les enfans d’un même Père céleste et des frères obligés de s’aimer. Ou, si l’on objectait que l’Evangile ne fait pas l’unité chez les chrétiens mêmes, je répondrais que leurs divergences n’ont pourtant rien de comparable à celle qui nous inquiète ici et qu’au surplus l’accord entre eux a toujours dépendu, pour une très grande part, de la fidélité qu’ils montraient à suivre l’idéal commun.

Mais, s’il est vrai que l’entrée des Japonais dans le christianisme contribuerait très efficacement à rendre possible leur fusion avec la race blanche, où en est aujourd’hui cette œuvre capitale, et l’Evangile est-il en voie de se faire accepter, au Japon, tout au moins d’une élite morale qui répandrait autour d’elle, par une sorte d’heureuse contagion, l’essentiel de nos idées et de nos sentimens ? Il s’en faut qu’à pareille question la réponse des faits soit encourageante. Cent cinquante mille chrétiens peut-être sur cinquante millions d’habitans, voilà le bilan religieux du pays que saint François-Xavier évangélisa avec de si remarquables succès au XVIe siècle. Le catholicisme implanté par ce grand apôtre, et qui avait gagné un million d’adeptes, fut étouffé dans

  1. De ces trois doctrines, c’est le boudhisme qui répond le mieux à l’idée que nous nous faisons d’une religion. Introduit au Japon vers le VIe siècle de notre ère, il y a joui de la plus grande faveur jusqu’à la Révolution de 1868, qui a restauré le pouvoir impérial. Celui-ci a, depuis lors, beaucoup plus favorisé le shintoïsme, ou culte des ancêtres, qui s’adresse principalement à l’Empereur, mais sans exclure les héros, les hommes éminens, les soldats morts en combattant ; il est le grand obstacle à la foi chrétienne, en tant qu’il paraît la reléguer, parce qu’incompatible avec le culte des Empereurs, au rang d’une religion antinationale. Quant au confucianisme, qui fut importé aussi vers le VIe siècle, il constitue, au Japon comme en Chine, un code de morale sociale plutôt qu’une religion ; tout ce qu’il recommande peut se résumer dans la loyauté envers l’Empereur, la fidélité et l’obéissance des inférieurs à leurs supérieurs, des enfans aux parens, des serviteurs aux maîtres.