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exigences de la loi chrétienne, à la rendre peu engageante. D’un autre côté, l’élite savante ou soi-disant telle n’a guère lu, en fait d’ouvrages religieux, que les écrits de nos incroyans ou de nos hypercritiques, et son information, assez étendue, mais superficielle, suffit tout juste à lui faire connaître les objections, sans la rendre désireuse, ni capable, d’entendre les réponses. Et il est triste de constater que ces réponses mêmes ne leur seraient pas toujours faciles à trouver ; les rares bons livres ne sont pas traduits, et ce ne sont pas tous les missionnaires qui peuvent expliquer l’histoire des religions, résoudre les problèmes d’exégèse biblique, discuter l’Essence du Christianisme ou la Religion de l’Esprit, détruire les insinuations de Renan et d’Anatole France, réfuter le positivisme anglais, le relativisme allemand, l’évolutionnisme et le monisme presque universels, abattre par le raisonnement, ou en touchant le cœur, ce dédain transcendant de la foi que les petits Japonais ont rapporté de Berlin ou de Paris et qu’ils tiennent pour inséparable de la vraie formation moderne.

Faudrait-il donc désespérer de la conversion des Japonais an christianisme ? Nous constatons simplement, en essayant d’en comprendre les causes, qu’elle procède jusqu’ici avec grande lenteur ; cela ne veut pas dire que nous la jugions impossible. Des trois principaux obstacles auxquels se heurte l’Evangile, dans l’ordre intellectuel, moral, national, il n’en est pas un seul qui ne soit lui-même battu en brèche par des influences contraires et destiné avec le temps à s’affaiblir. Les difficultés rationnelles, qui, du reste, n’atteignent que les classes cultivées, perdront de leur vigueur à mesure que des études plus approfondies guériront les savans de leur infatuation, et à mesure aussi que l’apologétique chrétienne se fera plus convaincante. En second lieu, s’il est vrai que la morale chrétienne, par sa valeur même et par sa pureté, rebute des natures accoutumées à se satisfaire sans beaucoup de scrupule, il est également certain que le besoin d’une loi qui s’impose et d’un frein contre les passions devient de plus en plus conscient chez ceux qui dirigent aujourd’hui le Japon et qui s’effraient, non pas sans motif, du désarroi jeté dans les mœurs par la rapidité des transformations de tout genre, par l’affaiblissement des croyances anciennes, par la disparition brusque d’une société féodale, où chacun ses reposait sur tous et vivait de coutumes, par