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coup sûr toute notre attention. S’il est voté, les vieilles mœurs anglaises s’en ressentiront profondément, non pas tout de suite sans doute, mais dans un temps peut-être plus court qu’on ne l’imagine. La grande propriété foncière, qui est la base politique et sociale de l’aristocratie britannique, ira en s’amoindrissant et en s’émiettant : au bout de quelques générations, il n’y en aura plus que des débris. Les successions seront, là aussi, le laminoir à travers lequel tout ira en s’amincissant. Après un certain temps, la structure morale du pays en sera sensiblement modifiée. Les uns, en Angleterre, en ont une conscience très nette, d’autres une conscience plus confuse ; les uns s’en inquiètent et s’en affligent, d’autres s’en réjouissent ; mais tous se passionnent pour ou contre le budget avec une énergie batailleuse dont nous avons perdu l’habitude en France. Chez nous, l’usure des caractères, le scepticisme, le fatalisme qui vient du découragement et du sentiment qu’on a de l’inutilité de l’effort, nous ont réduits à un état passif qui permet au gouvernement et aux Chambres de tout oser. Ce peuple autrefois si vif, si impatient, si prompt aux révolutions, accepte tout, subit tout, se résigne à tout. L’Angleterre n’en est pas là. Nous ignorons quel sera le résultat de la grande épreuve qu’elle traverse ; mais chez elle, du moins, on s’agite, on agit, on lutte, on sent courir dans le pays tout entier une flamme ardente qui tache d’éclairer les esprits et qui, en tout cas, échauffe puissamment les cœurs. Il faut remonter aux grandes agitations fomentées autrefois par Cobden pour trouver un exemple analogue. Malheureusement, ce n’est pas Cobden qui remue les foules aujourd’hui, c’est M. Lloyd George, et ce n’est pas la même chose.

On sait déjà combien la situation est embarrassante pour la Chambre des lords : on commence toutefois à distinguer le dénouement probable, — dénouement du premier acte, bien entendu : qui pourrait dire quel sera le second ? La question était, elle est toujours de savoir ce que fera la Chambre des lords lorsque le gouvernement lui apportera le budget que la Chambre des communes aura voté. Le votera-t-elle à son tour ? L’amendera-t-elle ? Le rejettera-t-elle en bloc ? Entre ces trois solutions il était bien difficile, il y a quelques jours, de dire quelle était celle qui l’emporterait ; mais c’est la dernière qui, depuis lors, a gagné le plus de terrain. Tout peut changer encore dans un pays où l’opinion a parfois des sursauts très imprévus. Il semble bien, toutefois, qu’on marche vers le rejet du budget par la Chambre haute, la dissolution de la Chambre des communes, et des élections prochaines. Les orateurs du gouvernement et ceux de