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langage et des formules démagogiques dont quelques-uns de ses collègues n’avaient pas craint de faire usage. Mais son discours n’était pas fait pour la Chambre des lords ; il n’avait évidemment pas pour objet de la convaincre par insinuation de l’opportunité qu’il y aurait pour elle à voter le budget. C’est à l’opinion qu’il s’adressait et il a recouru aux argumens les plus propres à faire effet sur elle, c’est-à-dire à des argumens un peu gros. Sans aller jusqu’à provoquer la Chambre des lords comme d’autres l’avaient fait, il a paru manifester, lui aussi, le désir qu’elle repoussât le budget, afin de pouvoir la traduire comme un grand coupable devant le pays. Toute l’argumentation gouvernementale, jusque dans la bouche relativement modérée de M. Asquith, a eu effectivement pour objet d’intimider la Chambre haute en lui faisant sentir que son opposition, si elle restait intransigeante, mettrait en cause ses privilèges et son existence même, au moins sous la forme actuelle, toutes choses sur lesquelles le pays aurait à se prononcer quand elle se serait prononcée elle-même sur le budget. Avons-nous besoin de dire combien ce langage est hardi, imprudent même, quand c’est un premier ministre qui le tient ? A plusieurs reprises, M. Asquith a paru souhaiter que la Chambre des lords commît un acte qui permit d’intenter contre elle une sorte de revendication révolutionnaire : nous nous demandons si cette attitude est, dans un cas quelconque, celle qui convient à un gouvernement.

Il fallait répondre au discours de M. Asquith et l’homme naturellement désigné pour remplir cette tâche était M. Balfour, puisqu’il est le chef du parti conservateur ou unioniste, et que d’ailleurs M. Chamberlain est condamné au silence. Cependant M. Chamberlain n’a pas voulu se taire tout à fait : le vieux lutteur s’est senti ranimé lorsqu’il a su que M. Asquith avait pris la parole dans sa ville de Birmingham, et à l’ouverture de la réunion où M. Balfour devait la prendre à son tour, M. Austen-Chamberlain a lu une lettre de son père où l’on trouve la phrase suivante : « J’espère que la Chambre des lords réussira à provoquer des élections générales. » S’il en est ainsi, comme c’est à croire désormais, M. Chamberlain manquera singulièrement à la bataille ; il ne pourra y assister que de loin. M. Balfour a confirmé, sur le but que devait se proposer la Chambre haute, l’opinion de son ancien collègue. « Ce n’est pas la Chambre des lords, a-t-il dit, ni la Chambre des communes qui ont le droit de trancher des questions aussi importantes que celles qui sont comprises dans le budget. Le seul tribunal, la seule Cour d’appel qui puisse prononcer entre les deux politiques en présence, c’est le peuple de ce pays. » Ce langage est à la fois loyal et