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partisans et des admirateurs. Ce fut, dit-on, par l’un d’entre eux, le sieur Dubois, officier du guet à Paris et frère d’un ancien aide de camp du comte de Saint-Germain, que ce nom, un peu oublié, fut suggéré, au moment opportun, à M. de Malesherbes. Malesherbes en parla à Turgot, que cette idée séduisit fort, comme nous l’avons vu tout à l’heure. Un scrupule l’arrêtait pourtant : comment être assuré que ce quasi septuagénaire[1], après quinze ans d’absence de France et sept ans d’inaction, gardât toute la vigueur d’esprit qu’on lui avait connue naguère ? Ce fut l’objet d’une délibération entre Turgot, Malesherbes et Maurepas. Ce dernier les tira d’affaire : « J’ai dans mon cabinet, proposa-t-il à ses collègues[2], un moyen de le juger. Il m’a envoyé des mémoires faits sur le militaire pendant sa retraite. Lisons-les et faisons-les lire au Roi. Après, nous déciderons. » Ainsi fut fait ; l’épreuve fut favorable. Louis XVI, sur le compte qui lui fut rendu, donna son approbation sans réserve : « Il n’est d’aucun parti, dit-il, et c’est une des raisons qui me le font choisir[3]. » Sur l’avis des ministres, il consulta la Reine, pour la forme et par déférence. « Celle-ci, quoiqu’elle désirât M. de Castries, ne marqua pas trop de mécontentement[4]. » On doit la croire sincère quand elle écrit le lendemain à sa mère : « Je n’aurai rien à me reprocher pour le choix du nouveau ministre de la Guerre. Je n’ai rien à dire, ni pour ni contre, ne le connaissant pas. »

Il n’était plus qu’à informer M. de Saint-Germain, lequel était loin de s’attendre à un pareil honneur. Maurepas rédigea le message qui fut porté à Lauterbach par ce Dubois dont j’ai plus haut cité le nom. Dubois trouva le futur secrétaire d’Etat « dans sa basse-cour, en redingote et en bonnet de nuit, occupé à donner à manger aux poulets[5]. » Il reçut la nouvelle avec stupéfaction : « Eh quoi ! murmura-t-il, la cour de France se ressouvient encore de moi ! » Puis il « pleura de joie et de reconnaissance, » et se borna à demander « quelques jours de délai pour se faire faire un habit et acheter une voiture. » N’ayant

  1. Saint-Germain avait alors soixante-huit ans.
  2. Journal de l’abbé de Véri.
  3. Lettre de Mme de Maurepas à la duchesse d’Aiguillon, du 25 octobre 1775., — Archives du marquis de Chabrillan.
  4. Journal de Véri.
  5. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 24 octobre 1775. — Archives de l’Aube.