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Ces pauvres jours, voilà comme on les pousse ! Ne croirait-on pas qu’ils ne finissent pas, qu’ils dureront toujours ? Et pourtant, mon front devient chauve, je commence à radoter ; j’ennuie les autres ; je m’ennuie moi-même. La fièvre arrivera, et, un beau matin, on m’emportera à Chastenay. Qui se souviendra de moi ? Le savez-vous, chère sœur ? Quelques vieux bouquins que j’aurai laissés et qu’on ne lira plus, exciteront, au moment où je disparaîtrai, une petite controverse. On dira qu’ils ne valent rien du tout, et qu’ils sont morts avec moi ; d’autres soutiendront qu’il y a quelque chose dans ce fatras. On restera là-dessus, on fermera le livre, on ira dîner, danser, pleurer ; les frères et les sœurs s’écriront par la poste mille choses où je ne serai pour rien. La Vallée [aux Loups] sera vendue à un bourgeois de Sceaux qui fera du vin de Suresnes, où j’ai planté des pins, et voilà l’histoire de tous les hommes ! Bonjour, chère sœur ! je suis tombé dans le noir ; toutes ces idées s’évanouissent en pensant que je vous écris, que vous m’aimez un peu, et que mon attachement pour vous est aussi profond que durable. »


II

L’Empire s’écroule. Une carrière nouvelle va s’ouvrir à l’activité de René. À tort ou à raison, — à raison, je crois, — le grand écrivain se croyait né pour l’action autant que pour les Lettres. Depuis dix ans il rongeait son frein, s’étant mis lui-même, par une démission retentissante, dans l’impossibilité morale de servir « l’usurpateur. » Il va saisir avec ardeur l’occasion qui s’offre à lui de jouer un grand rôle public, et aussi de sortir de la situation de gêne où il se débat lamentablement Justement, M. de Duras, qui est premier gentilhomme de la Chambre, va pouvoir l’y aider. Le célèbre pamphlet De Buonaparte et des Bourbons, des articles du Journal des Débats, de remarquables Réflexions politiques sur quelques questions du jour et sur les intérêts de tous les Français auraient dû faire pleuvoir sur Chateaubriand toutes les faveurs royales. Mais, en dépit des pressantes instances de Mme de Duras, les services qu’il a rendus et les sages conseils qu’il a donnés à la monarchie restaurée sont maigrement récompensés d’une ambassade vacante, celle de Suède, et, après les Cent-Jours, du titre de « ministre d’État » et de la pairie. Il avait d’abord