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passionnément souhaité ce dernier titre. La pairie une fois obtenue, il porte plus haut encore ses désirs : il rêve de l’ambassade de Rome. Mais la publication de la Monarchie selon la Charte lui aliène la confiance de Louis XVIII : il est rayé de la liste des ministres d’Etat ; et le voilà redevenu plus pauvre que jamais. Sur le moment, il se réjouit presque de sa disgrâce : « Eh bien ! écrit-il à Mme de Duras, je vous l’avais bien dit. Je ne suis plus ministre d’Etat. Vive le Roi quand même ! Revenez demain. Je suis gai, content comme après une bonne action. D’ailleurs, tout est fini ; et l’ouvrage paraît plaire à tout ce qui ne conspire pas. » Mais bientôt, pour payer ses dettes, il devra vendre sa bibliothèque, vendre sa chère Vallée aux Loups ; sa femme va tomber gravement malade ; Nathalie, la duchesse de Mouchy, « sa mieux aimée, » va devenir folle. Au milieu de tous ces déboires, Mme de Duras ne l’abandonne pas ; il va la voir souvent, parfois tous les jours, il lui écrit quand il ne peut aller la voir ; malade elle-même, souvent bien triste et toujours un peu jalouse, elle reçoit toutes ses doléances, le calme, le soutient, l’encourage, lui prête de l’argent ; et comme elle a foi en son génie politique, tout en discutant quelques-unes de ses idées, elle ne désespère pas de lui faire rendre son titre de ministre d’Etat, et de lui obtenir une ambassade, et même un ministère. Elle finira par réussir, et au mois de décembre 1820, Chateaubriand sera nommé ambassadeur à Berlin. Voici quelques-unes des lettres qu’il adresse pendant cette période à la « chère sœur » qui le « protège, » — le mot est de lui, — avec un dévouement inlassable :


[1817.] — «… Je suis désolé de vous voir toujours si triste, et si découragée. Je donnerais tout au monde pour vous voir reprendre à la joie et à vos amis. Je ne sais que vous dire de peur de vous impatienter, mais je suis toujours convaincu que vous sortirez de cet état de langueur et que vous reviendrez à la vie comme à tout le reste. Je suis à la Vallée d’où je viens deux fois par semaine à Paris pour la commission de l’Instruction publique. Cette commission aura fini son travail mardi prochain. Ainsi, je serai en repos pendant quelque temps. Je ne fais aucun plan pour l’avenir. Je vous attends, j’attends les événemens. J’ai bien peur pour cette malheureuse [Nathalie], qui est bien plus malade que vous, et qui est tuée par les médecins appelés à la guérir.

« Bonjour. Si mon tendre et sincère attachement était un