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des contrastes pareils. Parmi les étudians, les commerçans, les notables de la ville, en jaquettes et vestons de coupe londonienne, j’aperçois des ouvriers et des manœuvres en costume indigène. Il y a là jusqu’à des portefaix du port, la tête rase, le gombaz de toile bleue serré aux reins par une ceinture de cuir. Leurs larges pieds nus laissent une empreinte poudreuse sur le seuil des confessionnaux, d’où ils sortent, les bras en croix sur la poitrine, les yeux baissés, avec une expression de recueillement, étrange sur ces figures farouches.

Ce recueillement est peut-être ce qui m’a le plus étonné dans cette foule levantine. Quelle différence avec les dissidens schismatiques, dont j’avais suivi les offices ! Ici, entre tous ces fidèles, il existe un véritable courant de ferveur. La piété, si elle n’est peut-être pas très réfléchie, est sérieuse et profonde. Les communions sont, pour ainsi dire, générales. C’est par longues et incessantes processions qu’ils se dirigent vers la Sainte-Table, riches et pauvres, étudians et illettrés, les femmes en voiles blancs, les artisans nu-pieds, les élégantes de la ville. Le peuple surtout est touchant. Ces vêtemens et ces gestes archaïques, ces théories pieuses se déroulant à travers les arceaux des nefs, me rendaient presque la figuration des Catacombes. Les agapes eucharistiques, que j’avais vainement évoquées à Louqsor, se réalisaient pour moi dans cette chapelle de Jésuites. Ces hommes sont des pétrisseurs d’âmes incomparables ! Recréer ainsi l’atmosphère chrétienne primitive chez un peuple amolli par le plus dangereux des climats, corrompu par des siècles de servitude, voilà une de ces conversions déconcertantes dont eux seuls sont capables ! Et j’admirais, avec ce génie de la discipline morale, avec cette puissance de groupement et d’organisation dont ils ont le secret, cette contagion de charité et de fraternité, qu’ils répandent inlassablement autour d’eux.


III

A cela se réduisent les quelques résultats que la propagande religieuse occidentale a, jusqu’ici, obtenus en Orient. Ce sont les Catholiques qui y ont réussi. Encore était-il nécessaire que le terrain fût favorable à la bonne semence de leur parole. En dehors du cercle restreint des Maronites, des petites communautés grecques-syriennes, chaldéennes, arméniennes et coptes,