Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévouemens s’appellent, il a rencontré dans les sœurs de Saint-Joseph qui desservent l’hôpital les plus zélées des collaboratrices. Ces simples filles sont admirables, non seulement d’abnégation, mais aussi d’ingéniosité et de sens pratique. Le gouvernement français ne leur accorde que vingt mille francs de subsides, sur lesquels elles doivent défalquer huit mille francs pour le traitement du médecin attaché à l’établissement. Or le budget de l’hospice est de quarante mille francs environ. C’est à elles de combler le déficit comme elles peuvent.

Je les ai vues à l’œuvre. Un matin, j’assistai au défilé des malades et des indigens dans la pharmacie de l’hôpital. Des sœurs n’étaient occupées qu’à peser des remèdes, à remplir des flacons, à ficeler des paquets. La quinine et le bismuth s’enlevaient comme du pain. Par le guichet ouvert sur le préau, j’apercevais la horde compacte des misérables, qui, l’un après l’autre, venaient recevoir leurs médicamens. Les femmes étaient en majorité, de pauvres créatures hâves, décharnées, épuisées par les grossesses, tenant sur le bras un bébé squelettique et grelottant de fièvre. Le pire, c’étaient les plaies de ces malheureux, des plaies mal soignées ou totalement négligées, devenues hideuses et à peu près incurables. Des chancres, des eczémas, des ophtalmies purulentes, des bras et des jambes déformées, alourdis monstrueusement par des bouffissures livides : stigmates des vieilles lèpres ancestrales ! Le médecin les avait examinées, avait rédigé une hâtive ordonnance, et les bonnes sœurs donnaient le remède à tous ceux qui se présentaient, sans acception de race ni de religion, — aux Juifs et aux Musulmans comme aux Chrétiens. Ils n’avaient qu’à tendre la main.

On conçoit que, dans ces conditions, le gouvernement turc ne se montre pas trop défavorable aux fondations des missionnaires occidentaux. Il se décharge, en grande partie, sur eux de tout un important service, celui de l’Assistance publique. Et je ne parle pas de l’instruction, qui est un service non moins important et dispendieux. Il s’épargne ainsi la peine de veiller à l’hygiène de toute une catégorie de la population qui ne lui est pas fort sympathique, celle des Chrétiens et des dissidens en général. Ses coreligionnaires eux-mêmes profitent de cette tolérance. Car ils ne peuvent guère compter sur l’assistance administrative. Bien que les Musulmans aient, comme nous, leurs fondations charitables, — d’habitude et pris en bloc, ils ne sont pas très tendres,