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« quelques-uns s’acheminèrent, » hommes et femmes cette fois, à Argentan. Les prêtres, soutane retroussée, les femmes, cheveux épars, ils allaient « ramassant sur le chemin des immondices dont ils se gâtaient le visage, et les plus zélés s’en repurent ; » ils jetaient dans l’eau leur argent, bagues, linge, jupes de rechange, et se roulaient dans les bourbiers ; — un prêtre, à la tête du cortège, deux pierres à la main, dont il faisait feu continuellement, hurlait comme une bacchante : « Nous sommes les fous de Jésus-Christ. » « Ils criaient aussi que quiconque voulait se sauver, » devait, avec eux, « fuir en Amérique, porter au Canada le trésor de la foi, perdue en France par la faction des Jansénistes. » Les mêmes scènes se passèrent à Séez.

Dans quelle mesure la Compagnie du Saint-Sacrement tout entière, ou seulement son groupe caennais, étaient-ils responsables de ces extravagances ?

Il est certain qu’elle se réunissait à Caen dans cette maison de l’Ermitage, propriété du sieur Bernières-Louvigny, et qu’elle comptait parmi ses membres, que même elle avait eu pour fondateur, ce dévot très mystique, précurseur de Mme Guyon, apôtre d’une « certaine espèce d’oraison, sublime et transcendante, que l’on appelle l’occasion purement passive, parce que l’esprit n’y agit point. » Même Bernières-Louvigny était parmi les gens du Saint-Sacrement « en si grande vénération » que « peu s’en fallait qu’ils ne le canonisassent. » — Il était vrai aussi qu’une « union et correspondance » toute particulière régnait « entre la Compagnie de Paris et celle de Caen. » — On ne pouvait nier enfin que l’idée d’implanter le catholicisme au Canada était des plus chères à la Compagnie du Saint-Sacrement, et, spécialement, à celle de Caen : Mgr de Laval-Montigny, le célèbre évêque de Québec, était l’élève en mysticité de M. de Bernières et « avait longtemps demeuré à l’Ermitage. »

En tout cas, pour la Compagnie, la gravité de cette dénonciation consistait en ce qu’à l’occasion de ces indécences ridicules, non seulement le groupe de Caen était complètement dévoilé, avec les noms de son fondateur et de ses membres principaux, avec les lieux et jours de ses séances ; mais encore son affiliation à la Compagnie de Paris se trouvait révélée, ainsi que l’existence « d’autres semblables compagnies dans plusieurs grandes villes du Royaume. » On disait expressément « leurs occupations, » leur organisation intérieure, leur méthode ; le vrai nom de la