trompeuse grimace. » De ce mouvement deux documens subsistent, que nous ne saurions souhaiter plus illustres : Tartufe et Don Juan, — deux pièces dont aujourd’hui, après tant d’exégèses érudites et de commentaires pénétrans, le lien logique et la filiation apparaissent indiscutablement[1] ; — deux pièces de combat, deux pièces « de colère[2], » amères d’une amertume qui « ne se contient pas, » « faites toutes deux pour exciter l’indignation et même la haine » contre les faux dévots.
Vue de ce biais, la seconde de ces pièces, cette tragi-comédie de Don Juan que M. Jules Lemaître a déclarée plus d’une fois « bizarre, hybride, obscure en diable, » s’éclaire. D’où vient, — disait avec Paul Mesnard, avec d’autres critiques, M. Lemaître[3], — cet aspect si « difficile à prévoir » sous lequel Molière nous présente au cinquième acte le noble sacripant : « cet air confit, ce masque de dévotion ? » Quelle contradiction, quelle incohérence, de faire vilainement sombrer dans l’hypocrisie le gentilhomme, criminel sans doute, mais crâne, dont le cynisme de grande allure paraît jurer avec la bassesse de l’hypocrisie ? « Il fallait que Molière fût bien enragé contre les faux dévots, » — écrivait, en 1886, M. Lemaître, — pour imposer à son Don Juan cette singulière transformation finale. Il l’était en effet. Et telle est l’explication de cette incorrection dramatique. Oui, c’est bien la « voix de Molière » qu’il faut entendre dans l’âpre tirade de Don Juan contre l’hypocrisie. Lui qui, remarque M. Faguet, « ménage son héros en tant qu’athée ne lui pardonne pas en tant que dévot. » Cette hypocrisie, dernier avatar du grand séducteur, c’est, comme l’avait aperçu Paul Mesnard[4], « le moyen que trouve Molière pour accommoder le Festin de Pierre à sa lutte contre les dévots, » pour le rattacher au Tartufe qu’il complète. Le Don Juan présente l’achèvement de la thèse du Tartufe. Il prouve que « la grimace étudiée des gens de bien à outrance, le zèle contrefait des faux monnayeurs en dévotion, » dont se laissent bonnement éblouir tant d’imbéciles, n’est pas plus propre à couvrir les médiocres intrigues et les grotesques galanteries d’un petit fripon bourgeois, que les gros crimes, de
- ↑ E. Rigal, Molière, t. I, p. 225-226.
- ↑ A. Gazier, Mélanges de littérature et d’histoire, p. 6, 15, 18 ; E. Faguet, Propos de théâtre, p. 203.
- ↑ J. Lemaître, article de 1886, dans le tome Ier des Impressions de théâtre. Cf. 3e série.
- ↑ Molière, collection des Grands Écrivains, t. V, Notice sur Don Juan.