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ou contre la parodie qu’il avait osée des « préceptes du mariage » de saint Grégoire de Nazianze[1]. En 1662, Molière commence d’être attaqué par des écrits publics : une polémique de deux ans suivit l’Ecole des Femmes. Mais cette polémique, même quand les écrits sont signés ou que les pseudonymes sont transparens, observons qu’elle a quelque chose d’anonyme. Donneau de Visé, Robinet, Montfleury et Boursault ne sont pas simplement poussés par la jalousie littéraire : Molière le comprend bien[2]. Quand ils l’accusent de ruiner la religion et la morale, ce n’est pas pour leur propre compte : derrière leurs indignations, une main, et une main vigoureuse se sent, qui les commande, les documente, et qui les enhardit à discréditer le poète favori du Roi. Si Boursault écrit le Portrait du Peintre, c’est pour complaire à des gens « auxquels il ne pouvait rien refuser[3]. » Et Jean Loret, cette année-là même, déclare que s’il n’ose pas trop parler, « ni bas ni haut, » de théâtre, c’est qu’il en a reçu l’avis impérieux[4]. Molière retrouvait donc ici la même sorte d’opposition sourde et dérobée, sous laquelle, dès ses premiers pas, il avait failli succomber.

Enfin, en 1664 et 1665, il se venge. Il fait coup sur coup ces deux pièces, « où, dit M. Faguet, la satire, contenue en toute comédie, émerge, se dégage, se déploie et éclate, » où un auteur « irrité et cruel » transparaît, et, — continuerai-je de dire avec l’éminent critique, — si clairement que « je ne sais pas comment sont faits ceux qui s’y trompent[5]. » Dans ces pièces-pamphlets, Molière utilise-t-il ce que son dépit a pu lui faire découvrir sur le compte de ses adversaires cachés de la Compagnie du Saint-Sacrement ? Pour le Festin de Pierre, c’est possible, mais il en faut encore douter par cela même qu’il est assez facile de démêler entre les confrères du Saint-Sacrement l’original vivant que Molière a pu avoir en vue. Cet original, M. Gazier le dénonçait[6]avant que nous ne commencions d’étudier la Société mystérieuse de M. de Renty. Cet original, c’est précisément Conti, l’ancien patron, changé en irréconciliable ennemi des

  1. G. Lanson, dans la Revue Bleue (2 déc. 1899) ; E. Rigal, ouvrage cité.
  2. Eug. Despois, Notice sur l’École des Femmes (Molière des Grands Écrivains, III, p. 138).
  3. Allier, la Cabale des Dévots, p. 296.
  4. Muse historique, 31 décembre 1662.
  5. Propos de théâtre, p. 203.
  6. Mélanges de littérature et d’histoire, 1904 (Pavillon, Molière et Conti).