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réformer, renouveler cette Église, et faire « régner » Dieu dans le monde. Mais les moyens diffèrent. C’est à l’action, nous l’avons vu, à l’action perpétuelle, universelle, ardente, souple, ingénieuse, que la Compagnie du Saint-Sacrement faisait appel. Dans cette activité, on a vu aussi quelle part tenaient les « œuvres de zèle. » Or, s’il serait souverainement injuste, et nous n’y pensons nullement, de prétendre que le Jansénisme ne comprit pas, lui aussi, l’obligation de ces besognes de miséricorde[1], il ne l’est pas d’observer que l’activité bienfaisante n’apparaît point aux Jansénistes comme le principal de la vie chrétienne, et ne pouvait pas être, pour eux, l’idéal d’une association de dévots.

Quelle est, pour eux, la fin rationnelle de la vie chrétienne ? C’est le soin que chaque individu doit avoir de son propre « salut. » Là-dessus, tous les moralistes de Port-Royal s’accordent, et, sur ce point essentiel, leurs déclarations sont, parfois, d’une sainteté singulièrement égoïste : « Pourvu, » disait M. Singlin, « qu’un baptisé conserve soigneusement l’être divin qu’il a reçu, cela suffit. » Entre Marthe et Marie, ils n’hésitent pas. « Les charges et le monde engagent les hommes dans des occasions dont, à la vérité, ils peuvent revenir victorieux, mais toujours couverts de sueur et de poussière et quelquefois de blessures. » Donc, la sagesse chrétienne, c’est de s’abstenir, de monter et de rester sur les hauts lieux du recueillement spéculatif et du silence pénitent. S’il n’est pas mauvais que les personnes de piété se groupent, c’est moins pour l’expansion et la propagande que pour l’oraison solitaire. Cinquante ans plus tard, en 1701, l’auteur de la Science du Salut, un intéressant manuel de « perfection » janséniste, n’enseigne pas autre chose : le péril

  1. Le Traité de l’Aumône chrétienne est de Saint-Cyran. Et Arnauld, dans différens écrits, proclame avec toute la netteté désirable l’impossibilité pour le chrétien de se sauver sons cette bienfaisance dont Jésus a donné le précepte et l’exemple : « Comment pourrions-nous croire que tant de personnes riches qui n’ont aucun soin de partager avec les pauvres… sont remplies de charité (envers Dieu) lorsqu’ils approchent des mystères, après ces paroles de Jésus-Christ dans la bouche d’un apôtre : Si quelqu’un a des biens de ce monde et qu’il voie son frère en nécessité et lui ferme ses entrailles, comment est-ce que l’amour de Dieu demeure en lui ? » — Ajoutons, pour être exact jusqu’au bout, que sur le rapport que la conscience du xvu* siècle souffrait qu’on mit entre la charité et la propagande, entre le désir de secourir et le désir de convertir, les Jansénistes ne pensèrent pas toujours différemment des confrères du Saint-Sacrement. La « Caisse des conversions » de Louis XIV et de Pellisson n’eut pas d*avocat plus fâcheusement convaincu que ce même Arnauld. C’est seulement au temps de l’archevêque de Noailles et de Pontchartrain, en présence des lamentables résultats obtenus par la Révocation, que des scrupules leur vinrent.