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Trouvères et troubadours, la différence des deux noms signifie, on le sait, la diversité des deux races, celle du Nord et celle du Midi. Que l’art poétique et musical du moyen âge ait été d’origine et d’importation méridionale, cela n’est vrai qu’à demi. L’ordre chronologique en cette matière est difficile à fixer avec une parfaite certitude. Il paraît établi, dans une certaine mesure, que « le Midi de la France était en possession d’une poésie lyrique déjà développée, quand, au Nord de la Loire, les premiers trouvères commencèrent à chanter. » On a pu savoir à peu près dans quelles circonstances et par quels intermédiaires s’était produit le contact et propagé le courant : mariages féodaux, influences féminines, passages et séjours de jongleurs. Tout cela n’indique pourtant que des relations isolées, intermittentes, et l’histoire, à chaque page, démontre que, sous l’influence même du Midi, le Nord a gardé sa part d’activité créatrice.

Autant qu’entre deux régions ou deux climats, le partage apparaît entre deux classes, entre les grands et les petits, les seigneurs et les bourgeois, ou le peuple. D’origine aristocratique, l’art des troubadours et des trouvères serait plutôt plébéien dans son développement. Les maîtres du « gai savoir » se sont appelés, durant un siècle et demi, des noms les plus humbles comme les plus glorieux. Le premier qui nous soit connu, Guillaume VII, était comte de Poitiers et duc d’Aquitaine. Et parmi les derniers, Hugues de Lusignan, Thibaut de Bar, Henri de Brabant et Charles d’Anjou forment encore une pléiade illustre autour de leur maître à tous, Thibaut, comte de Champagne et roi de Navarre. Mais un Bernard de Ventardorn était de chétive naissance. Sa mère, chez les maîtres dont elle était servante, avait pour office de chauffer le four du château. Cet Arnaud, dont parle Dante, avait grand cœur et petite origine, et telle chanson plaintive suffirait à nous conter la vie, aussi modeste que son nom, de l’aimable Colin Muset.

Grands ou petits, les poètes musiciens qu’étaient les troubadours et trouvères ne daignaient pourtant presque jamais chanter eux-mêmes leurs chants. Ils en laissaient l’exécution, comme un art secondaire, si ce n’est comme un métier, à ces rapsodes vagabonds qu’on nommait les jongleurs. Le nom, d’ailleurs, unique, désignait plus d’une sorte de personnages, depuis les baladins, saltimbanques et montreurs d’animaux, jusqu’aux véritables artistes, fins joueurs de vièle et beaux diseurs de chansons. Formés en de véritables écoles, sorte de conservatoires populaires, ils allaient, virtuoses errans, à travers la France, encore incomplète et partagée, tantôt seuls, tantôt accompagnant les