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certains savans qui « mettent de grands mots sur de petites choses. » Les choses dont nous parlons sont petites, mais, dans leur petitesse, ont assez de quoi nous charmer.

Un principe domine l’art musical des trouvères et des troubadours, une formule peut suffire à le résumer. Cet art représente une réaction contre l’esthétique grégorienne, ou, si l’on aime mieux, « une évolution de la théorie ancienne du chant liturgique vers les voies rythmiques et tonales suivies par la musique moderne. » La proposition comporterait sans doute maint développement, d’ordre technique, et que, pour cette raison, nous ne saurions entreprendre. Ce n’est point ici le lieu de faire voir comment, du « rythme » grégorien, la « mesure » de l’ars nova, de l’ars mensurabilis, est sortie ; ou comment encore s’opéra, dans la musique des trouvères et troubadours, la restriction ou la sélection des modes ecclésiastiques ; comment enfin, dans la tonalité naissante, l’emploi de la note sensible peu à peu s’est introduit. Étudiant naguère, à propos d’un ouvrage du même auteur une collection de motets du même temps[1], nous avons noté la contrainte que subissait alors le rythme, devenu mesuré, la réduction au nombre de six des « moules » rythmiques entre lesquels il était permis à l’artiste de choisir, en d’autres termes, l’absence complète, ou peu s’en faut, pour le musicien du moyen âge, de « la liberté de penser rythmiquement. »

Laissons tout cela. A la fin d’une étude brève sur les trouvères et les troubadours, un seul caractère, essentiel et le plus apparent de leur musique, est à retenir : elle était mélodie, et rien ne fut plus chantant que leurs chansons, M. Pierre Aubry nous en donne des exemples nombreux et concordans. Ayant réclamé pour les trouvères une place dans l’histoire, non seulement de la littérature, mais de la musique, il établit à chaque instant, par des citations, le droit qu’ils ont de l’occuper. L’historien et le philologue multiplie, à l’appui de son texte, et pour l’animer, les citations ou les « illustrations » sonores. Chansons dramatiques ou d’aube, reverdies ou pastourelles, tous les genres, non seulement de poésie, mais de musique, sont là représentés. Ce volume est à sa manière un recueil d’Échos de France. Ils ont tous à peu près même son et même douceur. Peut-être nous attendions-nous à les trouver plus lointains, plus étranges. Mais non, rien n’est en eux qui nous étonne et nous déconcerte. Dans la coupe des rythmes et le dessin des mélodies, dans la grâce et la

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1909.