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dit M. Louis Martin, « sur la barricade, à côté de Victor Hugo et de Baudin. » S’il est vrai, quoique l’histoire n’en ait rien dit, qu’il monta sur la barricade à côté de Baudin, je n’ai qu’à m’incliner ; mais si c’est à côté de Victor Hugo, il faudrait spécifier sur quelle barricade Victor Hugo est monté. C’est un point obscur. Tant y a qu’il fit son devoir.

Puis il prit le chemin de l’exil, vécut quelque temps en Belgique et en Suisse ; puis, succombant à la maladie, il rentra en France, à Bourges, où il mourut le 16 mars 1853 dans les sentimens de philosophe déiste où il avait toujours vécu. Il n’avait que cinquante-six ans.

C’était un homme cordial plutôt que bon, mais cordial, communicatif, ardent, empressé, tout en dehors et tout en avant. A lire la correspondance de George Sand, encore inédite, M. Doumic « le devine grossier, despote, infidèle et jaloux. » Adoucissez un peu les termes. Il était rustique, trivial, personnel, volage et peu endurant. Ce qui guérit George Sand de lui, ce fut le perpétuel besoin qu’il avait d’être adulé : « J’ai des grands hommes plein le dos… Je voudrais les voir tous dans Plutarque. Qu’on les taille en marbre et qu’on n’en parle plus… Lasse de dévouement, ayant combattu ma fierté avec toutes les forces de l’amour et ne trouvant qu’ingratitude et dureté pour récompense, j’ai senti mon âme se briser et mon amour s’éteindre. » Cela sans doute veut dire que Michel de Bourges répétait souvent le mot du personnage de comédie : « Tu ne n’aimes pas : tu ne me parles jamais de moi. »

Mon père m’a souvent dit : « En 1836 j’eus pour compagnon de diligence, de Nevers à Bourges, un gros homme, laid, commun, qui engagea immédiatement la conversation. Il parla, très brillamment, très spirituellement, très littérairement, sachant qu’il parlait à un professeur. Il se montra poète, orateur, humaniste et aussi humanitaire, comme on disait alors, philosophe de l’école de Cousin, mais se souvenant de Rousseau, magnifiquement abondant en souvenirs, en aperçus, en considérations générales et point du tout en reparties, ne m’ayant pas laissé un seul instant l’occasion de lui en fournir. Comme tous les orateurs, il devenait beau en parlant. Nous arrivâmes à Bourges. Un gendarme me demanda mon passeport. Je n’en avais pas. « Laissez donc, monsieur, dit mon compagnon, je réponds de lui. — Mais vous-même ? — Michel de Bourges. » — Il était l’orateur né. Il