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D’autres fois, et particulièrement en cour d’assises, Michel de Bourges ne se refuse pas une sorte de pathétique idyllique que je ne crois pas, à quelque époque qu’il ait été employé, qui ait jamais pu vraiment émouvoir. Michel n’a, du romantisme, que le manque de la crainte du ridicule ; mais il me semble qu’il l’a bien. Il l’a à ce point qu’on se demande parfois s’il n’y a pas chez lui gageure d’avocat se faisant fort de « leur faire avaler cela, » y réussissant et se promettant de se réjouir de ce succès, après l’audience, entre confrères. Cependant je le crois plus naïf. Procès des accusés de Limoges : « Si vous les connaissiez, ces hommes, comme je les connais… si, un jour quand les débats sont suspendus, vous montiez avec nous dans cette salle où ils se délassent entre eux des épreuves qu’ils subissent ici… Jamais spectacle plus touchant ne s’est offert à vos regards attendris : ici, une vieille mère, assise entre ses deux enfans réunis à ses pieds et rompant sur ses genoux tremblans le pain de la fraternité ; là-bas, deux jeunes amis se promenant bras dessus bras dessous et rêvant des douceurs de la liberté que nous leur faisons espérer, de printemps, de fleurs, peut-être d’amour… Vous seriez touchés jusqu’aux larmes devant cette grande famille où règnent la paix, la concorde, l’union, la fraternité. Les gendarmes eux-mêmes, les bons gendarmes, ils sont émus, attendris ; et quand l’heure de se séparer est venue, alors recommencent les larmes, les bénédictions, les douleurs. Oh ! je vous en supplie, ne lancez pas la foudre au sein de ce pieux phalanstère… »

Ce manque de goût, cette tendance à l’hyperbole et à l’emphase gâtent chez lui, brusquement, des développemens qui sont très bons, très justes et très probans. Parlant, en 1839, pour le suffrage universel il exprime cette idée très acceptable que le suffrage restreint est un privilège abusif ; mais il faut qu’il compromette cette assertion raisonnable par l’outrance des expressions : «… Ainsi sur trente-cinq millions d’hommes dont la nation se compose, quatre millions jouissent du privilège odieux d’imposer des lois au trente autres millions. Ainsi en France, après deux révolutions scellées du sang du peuple, il s’est trouvé encore des maîtres et des esclaves. Le nom ne fait rien à la chose [il y fait qu’il la définit mal]. Vous avez beau le décorer du titre pompeux de citoyen, celui qui obéit à la loi qu’il n’a pas faite est en réalité un esclave. Et ce qu’il y a de plus odieux, dans cette