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Ces plaintes sont restées sans résultat, et, en définitive, le gouvernement refuse de poursuivre.

Quels en sont les motifs ?

Visiblement, le gouvernement résiste à la doctrine consacrée par la Cour de cassation et il incline vers la thèse socialiste qui considère le droit de grève comme un droit d’essence supérieure, et comme un droit sacré qui soustrait le gréviste aux obligations que la convention ou la loi impose en temps ordinaire.

Mais, pour que cette conception pût être appliquée aux faits qui nous occupent, encore faudrait-il que les inscrits maritimes eussent le droit de se mettre en grève. Or, on peut soutenir avec de très fortes raisons que ce droit ne leur appartient pas. Le législateur n’a nulle part consacré en termes exprès et formels ce droit dont on parle tant et dont on use souvent si mal. Il découle implicitement de l’abrogation prononcée par l’article premier de la loi du 21 mars 1884, de celle des 14-27 juin 1791 et de l’article 416 du Code pénal qui punissait d’emprisonnement et d’amende tous ouvriers, patrons et entrepreneurs d’ouvrages qui, à l’aide d’amendes, défenses, proscriptions, interdictions prononcées par suite d’un plan concerté, auraient porté atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail.

Quelques explications sont ici nécessaires.

En abrogeant l’article 416 du Code pénal, la loi du 21 mars 1884 a eu simplement pour but et pour effet de permettre collectivement ce qui avait toujours été licite individuellement. Or, pour les inscrits maritimes, qui, ainsi qu’on l’a vu, ont un statut spécial, la situation est précisément inverse. Alors que dans l’industrie ordinaire l’individu, même lié par un contrat, ne s’expose à aucune peine en refusant brusquement et abusivement d’exécuter son contrat, l’inscrit maritime régulièrement engagé qui ne se rend pas à bord ou qui déserte le navire s’expose, en dehors des sanctions de droit civil, aux peines sévères édictées d’abord par le décret réglementaire du 24 mars 1852 et maintenu par la loi du 15 avril 1898, qui (cela est important à retenir) est postérieure à la loi de 1884. Il n’est donc pas libre individuellement de faire ou de refuser le travail promis, et cette observation est capitale pour la solution de la question en cause, à savoir le prétendu droit de grève des gens de mer.

Pourquoi cette restriction au principe de la liberté ? Les raisons abondent.