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limitent pas à l’individu, qu’elles se fixent en se reproduisant, de mère en fille, et deviennent des caractères constans.

— C’est l’intérêt des hommes, d’avoir des épouses saines pour procréer des enfans sains. Il faut qu’ils améliorent la vie physique des femmes. Pourquoi ne réserverait-on pas des espaces clos de barrières ou de murs, plantés d’arbres, où les femmes du peuple se promèneraient librement, à l’abri des curiosités masculines ? Leur foi, leur pudeur ne seraient offensées par aucun regard indiscret, par aucune parole malsonnante.

Je voudrais demander à mon interlocutrice son avis sur des événemens récens, sur l’état d’esprit des dames musulmanes, sur leur désir de liberté. Mais je vois que ce sujet de conversation lui est désagréable. Elle est très prudente, Fatmé Alié Hanoum ! Elle craint d’exprimer une opinion qui serait peut-être mal interprétée.

Je la devine très conservatrice, par tempérament, par timidité aussi. Elle se borne à réclamer une bonne hygiène, de l’air, des jardins, et pour les femmes, veuves ou orphelines, la liberté de travailler. L’auteur d’Oudi déplore la misère trop fréquente des familles où un seul homme, père, frère ou mari, doit nourrir toutes les femmes de la parenté, sans qu’aucune de ces femmes puisse l’aider dans cette tâche respectable, mais écrasante. Bien pire encore est la situation des femmes que nul homme ne soutient.

Je me suis laissé dire que le Coran n’a pas toujours imposé aux musulmanes le voile, — devenu un symbole religieux, — et l’exclusion absolue de toute la société masculine. Il paraît qu’au temps du Prophète des femmes vertueuses faisaient les métiers appropriés à leurs qualités et à leurs forces. Certaines se mêlaient aux pieux étudians et l’on vit des dames enseigner la théologie. D’autres combattirent parmi les soldats de Mahomet. Pourquoi la même tolérance, — en ce qui concerne l’étude et les métiers féminins, — n’existerait-elle pas aujourd’hui ?

Les brodeuses, couturières, lingères, sont presque toujours des chrétiennes. Les musulmanes ne pourraient-elles exercer ces professions, soit chez elles, soit en atelier ? Elles ne seraient pas obligées de modifier leurs habitudes ; elles conserveraient le voile et le tcharchaf, et n’auraient affaire qu’à des personnes de leur sexe.

Telles sont les réflexions que m’ont inspirées et ma visite à Fatmé Alié et la lecture de son livre. Je ne suis pas sûre que l’illustre romancière m’approuve entièrement, et je revendique,