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pour mon compte personnel, toutes les hérésies, erreurs et inconvenances qui ont pu glisser sous ma plume. Il est si difficile de bien comprendre, d’exprimer, sans la trahir, une pensée étrangère ! Le moindre faux sens dont je serais coupable, on l’imputerait peut-être comme un crime à la très sage, très pieuse, très prudente Fatmé Alié. Je répète donc qu’aucune dame musulmane ne m’a paru plus musulmane que celle-ci, plus sincèrement attachée à la foi de son père et au voile de sa mère !

Et d’ailleurs, je ne crois pas que les femmes orientales aient un violent désir de gagner leur vie elles-mêmes, sauf le cas de force majeure. Elles s’accommodent très bien du travail de l’homme, et suivent, en cela, l’instinct de nature. Les Françaises mêmes, qui réclament le libre accès à toutes les professions, préfèrent, presque toujours, les devoirs de la vie familiale aux soucis de la vie active et extérieure. Elles ont, en majorité, le goût d’Henriette pour le mariage et ses conséquences :

Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfans, un ménage…

Mais encore faut-il que le mari se présente, et qu’il suffise à nourrir les enfans et à entretenir le ménage.

Les dames turques qui lisent nos livres et croient connaître nos mœurs, soupçonnent-elles le malaise croissant des femmes occidentales, affranchies par le travail, mais délaissées par l’homme ? Peuvent-elles s’imaginer les vies mélancoliques de nos vieilles filles sans amour, les vies laborieuses de nos ouvrières qui doivent quitter le berceau du nouveau-né pour l’atelier étouffant ou l’usine meurtrière ? Peuvent-elles, surtout, se représenter cette rivalité des sexes qui tourne parfois à la haine, l’attitude ennemie de l’homme inquiet ou jaloux, qui chasse des syndicats « la camarade » en jupons, et qui décline jusqu’aux charges de l’amour ?…

Ah ! certes, je ne prétends pas que l’existence des femmes orientales soit plus heureuse que la nôtre ! À tout prendre, les maux de la liberté sont préférables, mille fois, aux maux de la servitude. Mais il ne faut pas que les « Désenchantées » de là-bas croient que la vie nous est toujours riante et facile. Je souhaite à mes amies turques tout le loisir, tous les moyens de s’instruire et de se développer, d’exercer même les arts et les