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métiers convenables à leur sexe… Mais quelles prennent garde. L’homme perd aisément l’habitude de travailler pour la femme, et il prend plus aisément encore l’habitude de faire travailler la femme pour lui. Les bergères Karagachanes que j’ai vues accomplissaient tous les gros travaux, dans le campement ; elles bâtissaient, défrichaient, tissaient, lavaient, et nourrissaient les mioches, pendant que les vaillans palikares surveillaient les bêtes et faisaient les beaux, avec leur fusil…


Péra.

Depuis que je suis revenue à Péra, on me taquine à propos de ma « prise de voile, » et il ne se passe pas de journée où un visiteur ne me demande, — d’un air alléché et discret, — le récit de mes aventures au harem, et mes impressions sur les femmes turques.

Que sera-ce donc, à Paris ?… Ici même, des gens croient encore au harem légendaire, et je constate, une fois de plus, la fascination que la femme orientale exerce sur l’Européen, le prestige du voile… Toute figure cachée, interdite, est pour cela même supposée belle. Une Turque sexagénaire, qui aurait conservé de la sveltesse et une démarche gracieuse, pourrait troubler les cœurs naïfs des touristes. Ils voient partout Djénane et Aziyadé…

Quand j’essaie de rectifier cette image trop littéraire de la femme turque, ils sont déçus. Et cependant si le type chimérique, la création idéale, a sa beauté, combien la réalité est plus émouvante !

Je voudrais résumer mes impressions, et voilà que j’hésite… Plus que jamais, je dois me défendre des généralisations hâtives. Oserai-je dire que je connais la femme turque ? Démêlerai-je le caractère commun, la parenté de race, entre les types féminins, si variés, qui ont sollicité ma curiosité affectueuse ? J’ai vu la femme politique, la femme écrivain, l’intellectuelle de demi-culture, la grande dame, la jeune fille mondaine, l’épouse modeste d’un modeste employé, l’institutrice provinciale, l’infirmière… Laquelle incarnait vraiment, complètement, cet être mal connu : la femme turque ?

Je revois celles qui représentent le passé : je revois la vieille dame d’Andrinople, — silhouette ratatinée, serre-tête noir, minces bandeaux teints au henné comme les ongles. — Première