Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dès 1657, constaté avec irritation les embarras, même diplomatiques, que suscitait au gouvernement le zèle des « dévots du faubourg Saint-Germain, » pour vouloir à toute force faire supprimer « le prêche public que l’ambassadeur de Hollande fait en français dans sa maison. » Devenu, en 1661, le secrétaire, — secrétaire directeur, apparemment, — du Conseil du jeune Roi, l’une des premières affaires qu’il voit y revenir[1], c’est précisément cette âpre réclamation des anti-huguenots de la paroisse Saint-Sulpice.

Dans la grande lutte que Colbert entreprit sans tarder contre le surintendant Fouquet, il se heurte de nouveau à la sourde opposition de ces pieux importuns. Naguère amis de Retz, qu’ils subventionnaient peut-être, ils sont à présent fauteurs de Fouquet, qui les subventionne certainement. Entre eux et la famille Fouquet, les liens de collaboration pieuse et de reconnaissance financière sont nombreux et anciens. Le père de Fouquet s’occupait déjà de l’évangélisation des sauvages : il fut mêlé aux affaires de missions. Sa mère, depuis 1634, est la bienfaitrice de saint Vincent de Paul et de ses amis. Son frère, François, l’évêque, est un des « principaux » dans les réunions mystérieuses du Jeudi. Aussi lorsque Colbert dresse un inventaire rigoureux des dilapidations du surintendant, il découvre « des gratifications considérables » faites aux « principaux de la Cabale des Dévots ; » notamment, une somme de 6 000 livres par an, attribuée par Fouquet à une certaine « assemblée des duels » qui se réunit à l’Hôtel-Dieu. En revanche, les Dévots s’emploient avec ardeur pour Fouquet malheureux, — qu’ils soient dans l’armée comme Fabert, dans la magistrature comme Olivier Le Fèvre d’Ormesson, dans le clergé paroissial comme Claude Joly : — ces trois dévots amis de Fouquet font partie, très probablement, tous trois de la société de M. de Ventadour. — Toutefois, le patron le plus puissant, quoique le plus prudent, de Fouquet, est encore Lamoignon, Lamoignon dont la haute probité paraît étrangement fourvoyée en cette véreuse affaire. Mais c’est que, comme l’écrit Colbert lui-même, si Lamoignon intervient en faveur du surintendant, ce n’est pas en qualité d’homme d’Etat, qui ne pouvait approuver Fouquet, mais à titre et par obligation de dévot, « engagé très avant dans la cabale que l’on

  1. Mémoriaux du Conseil du Roi de 1661, publiés par Jean de Boislisle, t. I et II.