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L’opinion européenne ne leur était assurément pas indifférente, mais la manière dont elle s’était quelquefois exprimée les avait blessés et ils n’ont pas cru conforme à leur dignité de s’appuyer sur elle contre leur gouvernement. L’interpellation a porté d’abord sur l’expédition de Melilla, puis sur les affaires de Barcelone prises dans leur ensemble, sans aucune allusion à un fait particulier. Ici et là, l’opposition a accusé le gouvernement d’avoir manqué de prévoyance et d’avoir marché à la remorque des événemens. A entendre M. Moret, il aurait été facile à Barcelone d’arrêter l’émeute dès les premiers pas, et à Melilla de conduire les opérations militaires avec plus de fermeté et de rapidité. En Espagne même, disait-il, le trouble des esprits était augmenté par le maintien de l’état de siège à Barcelone et par la restriction apportée partout à l’exercice de la liberté. S’il y avait là une obligation pour le gouvernement, elle existait par sa faute seule ; mais la vérité, assurait M. Moret, est qu’elle n’existait pas et que le gouvernement entretenait, par simple maladresse, une tension qui disparaîtrait avec lui. La conclusion logique de ce discours aurait été le dépôt d’un ordre du jour de blâme contre le ministère. M. Moret n’est pas allé aussi loin. Il ne voulait pas la chute immédiate du Cabinet conservateur ; celle de son chef, M. Maura, lui suffisait : que M. Maura s’en allât et qu’on fît un autre ministère conservateur, M. Moret n’en demandait pas davantage.

En fait, les libéraux ne se sentaient pas en situation de prendre le pouvoir. Se rappelant dans quelles conditions fâcheuses ils l’avaient quitté en 1906, ils jugeaient prématuré d’y revenir aujourd’hui. Peut-être aussi aimaient-ils mieux attendre la liquidation de l’expédition de Melilla, dans la pensée que, puisque les conservateurs l’avaient engagée, c’était à eux à en accepter jusqu’au bout toute la responsabilité. On le voit, l’attaque a été d’abord assez molle. M. Maura y a répondu spirituellement qu’il retenait, pour une autre fois, l’invitation à se retirer que M. Moret lui adressait, mais que, pour le moment, il n’y obéirait pas. Il a défendu sa conduite à Barcelone et à Melilla, et il n’y a eu, en somme, ni dans ces premiers discours de l’opposition, ni dans ceux du gouvernement, rien que ce qu’opposition et gouvernement ont l’habitude de dire en pareil cas. Mais les esprits se sont échauffés peu à peu. La discussion a été beaucoup plus vive le second jour que le premier, et finalement le ministre de l’Intérieur, M. de la Cierva, moins maître de sa parole que ne l’est M. Maura, atout compromis par sa violence. Il a peint la situation sous le jour le plus sombre, et a déclaré que le gouvernement y ferait face avec des