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« Nous avons sagement banni trois poisons dont vous faisiez un perpétuel usage : le tabac, le café et le thé. » Cette prédiction de 1775 semble se confirmer assez peu jusqu’ici.

Depuis que le thé,« impertinente nouveauté du siècle, » écrivait Gui Patin en 1648, avait été introduit en France sous les auspices du chancelier Séguier, il ne s’y était guère répandu. Son prix, quoique fort élevé, — de 20 à 40 francs le kilo, — était cependant plus bas qu’en Angleterre, et l’on trouvait à Boulogne-sur-Mer pour 36 francs, sous Louis XV, d’aussi bon thé qu’à Londres pour 70. Boulogne était en effet le siège d’une importation qui monta un instant jusqu’à 265 000 kilos par an.

Le thé servi l’après-midi dans quelques salons était alors bouilli plutôt qu’infusé et se prenait avec une égale quantité de lait. Cet usage disparut sans doute au temps de la Révolution et du premier empire ; en 1831, la consommation n’était en France que de 86 000 kilos, tandis qu’elle s’est élevée graduellement à 1 160 000 de nos jours.

Le cacao, que les Espagnols avaient tiré du Mexique en 1520, fut encore plus mal accueilli que le thé à son début. Le cardinal de Richelieu écrivait à son frère Alphonse, l’archevêque de Lyon, qui l’un des premiers en France avait eu l’audace d’en absorber : « Je ne saurais vous celer que la drogue qu’on appelle scocolato, dont on m’a dit que vous usez souvent, étant du tout préjudiciable à votre santé, j’estime qu’il serait à propos que vous eussiez recours aux remèdes ordinaires. » C’était pour « modérer les vapeurs de sa rate » que cet archevèque prenait du chocolat et les médecins affirmaient positivement que le chocolat donnait des vapeurs, des palpitations et même une fièvre continue et mortelle. Est-ce par la reine Marie-Thérèse qui en avait pris le goût en Espagne et s’en faisait faire à Versailles en cachette que le chocolat fut introduit dans le grand monde ? Toujours est-il que Mme de Sévignée ose le recommandera sa fille : « Vous ne vous portez point bien ; le chocolat vous remettrait, mais vous n’avez point de chocolatière ; j’y ai pensé mille fois, comment ferez-vous ? » Le « chocolate, » qui coûtait alors de 22 à 30 francs le kilo, descendit à la fin du xviiie siècle à 13 francs ; cependant, au début du règne de Louis-Philippe, la France ne recevait que 674 000 kilos de cacao, et elle en reçoit maintenant 22 millions.

Tout autre fut la fortune du café : il ne rencontra pas d’en-