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les plus forts ; mais comment se persuader que ce soit là le gouvernement selon la justice ? Le droit exclusif des majorités n’est qu’un substitut plus ou moins fidèle du droit des unanimités. On convient unanimement, faute de mieux, de s’en rapporter à la majorité, mais c’est à la condition que cette majorité se considère comme représentant les droits et intérêts de la totalité, non pas seulement ceux des individus les plus nombreux. En pratique, il est difficile de compter sur une telle abnégation. La vraie justice veut donc que, par un mécanisme approprié, on réserve aux minorités leur part d’influence proportionnelle, pour sauvegarder ainsi les droits de tous.

En assurant, par la Chambre des députés, une représentation vraiment universelle et proportionnelle des volontés, la démocratie aura-t-elle, aux yeux du philosophe et du sociologue, achevé l’œuvre de justice ? Pas encore. La représentation proportionnelle, en effet, n’est que numériquement proportionnelle ; or, l’idée de valeur est plus haute que celle de quantité. La représentation proportionnelle ne traite encore les majorités que comme des nombres ; elle compte sans peser. Elle compte tous les votes, et c’est un grand point, mais ce n’est pas le seul. Sa vraie supériorité théorique est que, en comptant tous les votes, elle a plus de chances de faire place, dans la représentation, à tous les droits individuels et à tous les grands intérêts nationaux. C’est en cela, au fond, que consiste sa signification la plus élevée. Mais il est naturel d’aller plus loin et de se demander si, dans la représentation nationale, le point de vue arithmétique ne doit pas être dépassé, s’il n’est pas juste d’introduire des considérations de valeur.

Pour aucun sociologue la réponse ne sera douteuse. Il s’agit seulement de savoir quelles valeurs doivent être représentées, et comment. Pour le déterminer, reportons-nous à l’idée de l’organisme contractuel. Nous avons vu que la Chambre des députés, fondée sur le vote de tous les individus égaux et libres, représente le contrat social, l’accord et le consentement des volontés individuelles sur les questions collectives. Mais, nous l’avons vu aussi, l’idée d’organisme n’est pas moins importante que celle de contrat. Sans vouloir assimiler entièrement la nation à un animal comme le font certains sociologues, encore est-il qu’elle contient tout ce que renferme un être vivant, avec quelque chose de plus et de plus important. Une nation peut-elle vivre sans des organes