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d’éducation et d’enseignement, sans des organes de recherche scientifique, sans des organes de travail industriel, de travail agricole, etc. ? Il faut que tous ces organes de la vie spirituelle ou matérielle aient, dans la direction finale de l’ensemble, une influence proportionnée à leur importance et à leur « subordination » naturelle. Supposons que, dans le corps humain, chaque cellule du tissu ou des os, chaque globule du sang ait sa représentation individuelle au cerveau, mais que les organes eux-mêmes, cœur, poumons, estomac, mains et pieds, ne l’aient pas, qu’il n’existe aucune région sensitive et motrice pour recevoir leurs impressions et leur communiquer des impulsions ; pourra-t-on dire que l’organisme soit vraiment représenté et qu’il y ait dans le cerveau une vraie volonté collective ? Non. Nous ne trouverons plus là qu’un total numérique d’individus cellulaires, sans que leurs associations et leurs groupemens essentiels soient reconnus. Tel est, dans nos démocraties, l’effet de la représentation purement numérique et non organique.

La suppression de tout mandat représentatif héréditaire est sans doute la condition primordiale et légitime de la démocratie, mais elle n’implique nullement la suppression de toute continuité, de toute constance, de toute représentation des grandes fonctions durables ; elle n’implique pas la remise de toutes choses aux hasards des votes, aux caprices du nombre et à l’usurpation des plus nombreux ; elle n’implique pas l’universelle désorganisation politique au sein d’une nation socialement organisée ; elle n’implique pas la perpétuelle contradiction entre l’idée de justice sociale, sur laquelle la vraie démocratie repose, et le triomphe des intérêts d’individus, de localités, de partis ou de classes, exploités par les plus habiles. Cette erreur est au fond de tous les gouvernemens démocratiques actuels ; elle en explique les aberrations et les iniquités. L’absorption de l’organique par l’inorganique, des fonctions sociales par la quantité brute ou par le nombre régit et fausse la politique contemporaine. En fait, la nation n’est pas représentée en ses organes essentiels par son gouvernement et, en conséquence, ne peut se gouverner elle-même. Nous ne sommes pas, comme nous le croyons, en vraie république. Nous nous dupons nous-mêmes en le proclamant, et nous dupons les autres. Nous vivons de sophismes et d’expédiens au jour le jour.

Il faut donc, outre la part des volontés individuelles, qui,