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« Collection qui sera la plus belle plume de mon aile si je dois devenir un oiseau glorieux. Le meilleur de moi est dans ces lettres où je parle ma vraie langue. » Bien plus, il nota dès lors sur le recueil même : « Je puis attendre la gloire appuyé là-dessus ! » Orgueilleuse épigraphe que les années n’ont point fait mentir toutefois, puisque nous la lisons sans sourire après un demi-siècle écoulé ; et c’est là une justice qu’il convient de rendre avant tout à l’original écrivain trop longtemps méconnu.

Il y a beaucoup à goûter dans ces pages étincelantes, beaucoup à apprendre aussi, et l’on y rencontre en particulier certains aperçus qui jettent une lumière nouvelle autant que singulière sur le caractère et sur l’existence d’Eugénie de Guérin. Le nom de cette femme d’élite revient fréquemment sous la plume de Barbey d’Aurevilly. Il avait été en effet le condisciple de Maurice de Guérin. Après la mort de cet écrivain de si grande espérance, il était devenu, pour quelques mois, le confident de sa sœur : et, d’autre part, Trébutien préparait alors, avec l’assistance de son correspondant parisien, l’édition des « reliques » échappées au naufrage de ces grands artistes prématurément disparus. C’est même la publication des œuvres de Maurice qui devait diviser pour jamais Trébutien et Barbey en 1858, sans que les causes de cette rupture soient jusqu’ici parfaitement expliquées. Au contraire, les Reliquiæ d’Eugénie, imprimées par leurs soins dès 1806, ne troublèrent nullement leur cordiale entente. D’un commun accord, ils laissèrent dans l’ombre certains incidens qui avaient agité la courte vie de leur héroïne ; mais, sur ces incidens significatifs, les lettres de d’Aurevilly se montrent plus explicites, et ses confidences, aujourd’hui placées sous nos yeux, nous conduisent à intercaler dans la biographie d’Eugénie un chapitre sentimental qui échappait hier encore aux historiens de cette âme d’élite. Tel sera le sujet de cette étude.

Ajoutons dès à présent que Barbey qui pensait très haut de ses lettres à Trébutien en général, avait en particulier la plus complaisante opinion de celles où il évoque le souvenir des Guérin. Il engagea même son ami de Caen à recopier ces passages à part, de sa magnifique écriture, pour en former un recueil de Gueriniana, dont lui-même écrivit quand il l’eut sous les yeux : « Rien de ce que je pourrai faire logiquement et d’esprit rassis ne vaudra ces rayons solaires intersectés,