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la Truite Blanche, sont proprement des chefs-d’œuvre d’imagination poétique. Nous sentons qu’un peuple met ici tout son cœur, attaché depuis de longs siècles à ce genre du conte, comme d’autres le sont à la danse, au théâtre, ou aux sports.


Telle est donc l’une des qualités principales de l’âme irlandaise que nous révèle clairement la lecture de ces contes : une richesse infinie d’imagination qui s’étend à la réalité aussi bien qu’au rêve, et sans cesse aboutit à les confondre l’un et l’autre, prêtant aux caprices les plus singuliers la même importance et le même attrait qu’aux faits les plus sérieux de la vie personnelle. Mais, plus manifestement encore peut-être, et certes avec une originalité plus frappante pour nous, apparaît dans ces contes une autre qualité, d’ordre tout moral : la profonde et merveilleuse bonté du cœur irlandais. Non pas que, à ce point de vue comme à celui de l’intelligence, les aventures extravagantes qui se déroulent devant nous aient de quoi démentir la mauvaise opinion conçue, de tout temps, par le public anglais au sujet du caractère des habitans de « l’autre île : » car la bonté dont il s’agit ici n’est, en aucune façon, synonyme d’honnêteté, et souvent même s’accompagne, suivant l’habitude des contes populaires, d’une forte part de dédain à l’endroit des prescriptions de la loi morale. Trop souvent le héros dont on nous raconte les exploits a recours au mensonge pour assurer le succès de ses entreprises, sans compter que parfois celles-ci, guerrières ou civiles, attestent une ignorance fâcheuse du respect qu’il convient d’avoir pour le bien d’autrui. Aussi ne serais-je pas étonné que les jeunes lecteurs anglais du volume, après s’être cordialement amusés tout au long des pages, n’emportassent qu’une estime assez médiocre pour les princes ou paysans qu’ils y auront rencontrés ; mais il n’en reste pas moins vrai que les moins scrupuleux de ces personnages se distinguent des types analogues dans les autres « folk-lores » par un charme tout exceptionnel de naïve, généreuse, et touchante bonté.

« Cette princesse avait le cœur tendre, tout comme le reste de nous ! » dit quelque part l’un des paysans dont on nous transmet les récits. Oui, il y a chez ces pauvres gens une « tendresse de cœur » dont on chercherait vainement un exemple dans toute l’œuvre des frères Grimm, ou dans d’autres recueils de contes de la plus « sentimentale » des races. Non seulement les héros des histoires familières ou comiques, tels que le Lawn Dyarrig de tout à l’heure, ne se fatiguent point de pardonner les injures qu’ils reçoivent : nous