Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est-il, visiblement, l’incarnation du diable, toujours contrainte à disparaître devant un peu d’eau bénite ou un signe de croix : tandis que les véritables esprits souterrains sont les leprachauns, dont le naturel se traduit assez clairement par le nom de « bonnes gens, » que leur donnent souvent aussi les conteurs irlandais. Ceux-là n’interviennent jamais qu’en bienfaiteurs et amis, pour dispenser le paresseux d’un travail fatigant, pour indiquer au pauvre l’emplacement d’un trésor caché. Tout au plus exigent-ils que l’on n’abuse pas de leur complaisance, ainsi que l’a constaté certaine fermière. Cette dame, sollicitée par des « bonnes gens » de leur prêter une casserole, en avait choisi une qui avait besoin d’être rétamée, en déclarant à sa servante qu’elle espérait, par-là, s’épargner une dépense de six pence, car les petits gnomes ne manqueraient point de lui rétamer sa casserole avant d’en faire usage. Mais voilà que, à trois reprises successives, la casserole restituée par les nains s’est obstinée à gâter les deux pence de lait que la dame y avait versés ; et, à trois reprises, un éclat de rire, sortant du fond de la cheminée, est venu prouver que les leprachauns n’entendaient pas être mystifiés ! Ils ont fait en sorte que la fermière perdît les douze sous qu’elle avait cru gagner ; après quoi, la casserole est devenue excellente, rétamée par les « bonnes gens » pour durer désormais jusqu’à la fin des temps. N’est-ce point là vraiment une intervention délicieuse, dans sa simplicité ? Et tout le livre est rempli de menus traits semblables ; et personne, à coup sûr, ne saurait le lire sans y puiser une sympathie mêlée d’admiration pour un peuple de grands enfans qui, de page en page, nous y révèle à la fois l’étonnante liberté de sa fantaisie et toute l’innocence, la douceur, la bonté ingénue de son « tendre cœur. »


T. DE WYZEWA.