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par momens, des réminiscences de Périgueux ; cela était peu marqué, mais pourtant sensible ; M. le président du Conseil manifestait en somme peu d’estime pour la majorité sur laquelle il s’appuyait. En la qualifiant d’« effilochée, » il entendait dire qu’elle manquait de cohésion et n’était pas capable de se tenir convenablement sur le terrain électoral, si elle n’était pas soutenue par la charpente plus solide de l’administration préfectorale et sous-préfectorale dont les arrondissemens sont les cadres d’action naturels.

C’est d’ailleurs un singulier tableau de la France politique qu’a décrit M. Briand ! Est-il vrai, comme il l’a dit, que les partis d’opposition soient aujourd’hui puissamment organisés, qu’ils obéissent à une discipline très forte et qu’ils ont admirablement préparé leur mobilisation électorale ? Nous n’en croyons rien. En revanche, M. Briand a eu tout à fait raison dans ce qu’il a dit de la majorité ; elle ne se suffit pas à elle-même ; elle tombera en déliquescence, si le gouvernement ne met pas toutes ses ressources à sa disposition. Voilà pourquoi il faut conserver le scrutin d’arrondissement. Si M. Briand ne l’a pas expliqué aussi nettement que nous le faisons nous-même, il s’en est fallu de peu. Il a assuré que la réforme n’était pas mûre, que le pays n’y avait pas été préparé, qu’elle se produirait comme une surprise, qu’il fallait donner aux esprits le temps de s’y habituer, et aux partis « effilochés, » celui de resserrer les fils de leur trame. Les partisans de la représentation proportionnelle reconnaissent que tous les partis, — non seulement les partis gouvernementaux, mais les partis d’opposition eux-mêmes, — sont tombés dans un état de confusion et de désordre qui rend difficile le jeu normal de nos institutions ; mais le remède, à leurs yeux, est précisément dans la représentation proportionnelle de sorte qu’ajourner la réforme est aggraver le mal. C’est à cette conclusion qu’aurait dû, lui aussi, aboutir M. Briand s’il avait été logique. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? C’est parce qu’il a craint d’être renversé. Nous n’entendons pas dire par-là que M. Briand ait obéi à un égoïste calcul d’intérêt personnel ; mais il a cru qu’après avoir accepté la responsabilité du gouvernement, après avoir tenu un langage qui a été applaudi par beaucoup de bons citoyens, après avoir suscité d’assez hautes espérances, il ne devait pas s’exposer à butter contre la première pierre du chemin et à tomber. Serait-il tombé s’il avait défendu la représentation proportionnelle ? Le fait est douteux. En tout cas, s’il était tombé aujourd’hui, il se serait relevé demain, c’est-à-dire après les élections, avec une force nouvelle. Il a préféré vivre au jour le jour, et il vit ; mais