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modéré que l’autre, et plus redoutable d’autant : Lettre écrite à M. Turgot par un de ses amis. On soupçonne d’en être l’auteur, — l’inspirateur du moins, — un fermier général du nom de Gérard de Mesjean, « secrétaire des commandemens de M. le Comte de Provence. » Nouvel émoi dans le public, nouvel affolement de Devaines, nouveau geste de protection du contrôleur général. Sur son ordre, on perquisitionne chez le secrétaire de Mesjean, la police interdit la vente de la brochure, les colporteurs sont pourchassés, l’un d’eux est mis à la Bastille, où Blonde, l’auteur de la première attaque, ne tarde pas à le rejoindre. Ces mesures aggravent le scandale ; le parlement s’agite et délibère, toutes chambres assemblées, au sujet des arrestations. Chacun attend avec une curiosité impatiente le grand procès engagé par Devaines pour démontrer son innocence. Hélas ! cette attente est déçue… Après quelques semaines, le plaignant se désiste, les prisonniers sont libérés, le silence se fait sur l’affaire ; personne jamais n’en pénétrera le mystère. Ce qui reste de cette histoire, c’est non seulement un fâcheux discrédit pour le héros de l’aventure, mais les éclaboussures qui rejaillissent sur son patron et son obstiné protecteur. Nul ne suspecte assurément l’exacte probité, la parfaite bonne foi de Turgot, mais on doute de sa clairvoyance, de son talent à discerner les hommes ; et l’on imagine le parti que peuvent tirer de l’incident ceux qui ont intérêt à le desservir près du Roi.


II

Les insinuations personnelles font cependant moins d’effet sur l’esprit du maître que les murmures contre les actes. Construits avec absolutisme et appliqués avec raideur, les édits de Turgot provoquaient maintenant les critiques de ceux-là mêmes qui les acclamaient au début. De fait, cette réaction était peut-être inévitable. Toute réforme profonde, avant d’être entrée dans les mœurs, amène quelques perturbations, un désarroi dans les vieilles habitudes, certains désordres passagers. Les erreurs de détail rendent les contemporains injustes envers les bienfaits de l’ensemble, et le présent leur cache l’avenir. Les innovations de Turgot traversaient cette phage difficile. Le renchérissement