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la Rambla de las Cortes de Cataluña ou la Gran Via diagonal. Lorsque, défaillant de fatigue, on y est parvenu au numéro 600, on souhaite, mais en vain, d’en voir le bout. Les passans y sont comme perdus. Si dense que soit la population de Barcelone (on prétend qu’elle s’élève à près de 700 000 habitans), il faudrait la tripler, pour animer un peu ces voies immenses. Toutes les autres constructions nouvelles sont à l’avenant : l’Université, les Docks, le Palais de Justice, la Plaza de toros. On n’a épargné pour ces bâtisses ni la pierre, ni l’espace. Barcelone y a gagné un très imposant aspect de grande capitale. Madrid a certainement une élégance et une distinction que sa rivale n’aura jamais ; elle possède aussi un plus grand nombre de beaux édifices (et encore je n’en suis pas bien sûr, car je n’y vois guère que le Palais-Royal qui soit tout à fait de premier ordre). Mais Barcelone écrase Madrid par sa richesse et son énormité.

Qu’on ne soupçonne pas dans ces lignes la moindre arrière-pensée de critique. Il sied même de le proclamer : cet effort des Barcelonais vers la grandeur ne va point sans un très louable souci d’art et d’embellissement. Leurs tentatives en ce sens valent ce qu’elles valent. L’essentiel est qu’ils s’y jettent avec une sorte de fanatisme patriotique. Ils ne comptent point sur l’Etat, ni même sur la municipalité pour embellir leur ville : les particuliers y travaillent de leur propre initiative. En faisant bâtir de fastueux hôtels, ils ont conscience d’augmenter la gloire de Barcelone ; ils se sentent solidaires de sa grandeur. Quelle différence encore avec nos villes françaises, où il faut toujours qu’un tyran dépensier intervienne pour y mettre un peu de beauté ! Que serait Marseille sans Colbert et Napoléon III, Nancy sans le bon roi Stanislas, Montpellier sans les intendans de Louis XIV ? Nos maisons bourgeoises et même aristocratiques préfèrent cacher leur opulence : le dedans en vaut mieux que le dehors. De là cet amusant préjugé, si répandu parmi les Méridionaux, que les Français sont des avares. Mais, au fond de cette mesquinerie apparente, il y a toujours la peur de se faire remarquer et, encore une fois, de dépasser l’alignement.

Combien les Barcelonais sont loin de pareilles inquiétudes ! Dans leur fureur d’embellissement, je ne les chicanerais que sur un point : l’imitation plus ou moins intentionnelle de Paris. Partout, à Barcelone, on se heurte à des réminiscences parisiennes. Ces réminiscences sont fort déplaisantes, comme tout