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ni même catalan. Je n’ai vu d’Espagnols alcooliques qu’en Algérie. Encore avaient-ils pour excuse l’entraînement de l’exemple et la fatigue de métiers abrutissans.

Bien plus que cette sobriété de l’ouvrier, ce qui m’avait ému, au cours de cette visite, c’était la franchise et la candeur du regard chez tous ceux que j’avais dévisagés. J’y pensais encore dans la voiture qui me ramenait à la station prochaine, pour reprendre le train de Barcelone. Un gars de l’usine me servait de cocher. Nous ne pouvions pas causer, car il savait mal l’espagnol. Mais, du bout de son fouet, il me désignait les sites, et les villages environnans, avec un rire de belle humeur et un empressement exempt de toute platitude : c’était vraiment une « bonne figure, » une figure de l’ancien temps, de l’époque déjà lointaine, où l’on ignorait la lutte de classes et où le serviteur n’avait pas appris à considérer le maître comme son ennemi. Ah ! non, ceux-là n’ont pas la bouche amère, la mine suffisante et hargneuse de nos ouvriers parisiens !

Je m’empresse de reconnaître que cette colonie manufacturière est peut-être unique en son genre, que c’est, au pied de la lettre, un établissement modèle. Mais, comme il est dirigé par un des membres les plus influons du parti conservateur, il m’a semblé intéressant de constater qu’en pays d’inquisition, il y a des « rétrogrades » qui appliquent toutes les réformes sociales susceptibles d’être réalisées, sans éprouver, pour cela, le besoin de jeter la société par terre. J’ai retrouvé d’ailleurs, sinon les mêmes principes, du moins une pareille sagesse chez des socialistes barcelonais. Habitué que j’étais aux déclamations furibondes des nôtres, je n’en croyais pas mes oreilles, lorsque je les écoutai.

C’était dans une modeste imprimerie organisée, suivant l’idéal communiste, par un groupe d’ouvriers typographes. La politesse, le sérieux et la modération de ces hommes m’émerveillèrent. En ce moment-là, toute notre presse révolutionnaire retentissait des plus monstrueuses calomnies contre le gouvernement espagnol. Je m’attendais à ce que ces phalanstériens catalans fussent montés au même diapason : ils étaient très calmes. Ils me dirent : « Non ! on ne torture pas à Monljuich. Vos journaux ont tort. Nous n’approuvons pas le gouvernement, mais nous sommes forcés de reconnaître que, dans cette affaire, il est correct !… D’ailleurs, en ce qui nous concerne personnellement, nous avons renoncé à la lutte violente, D’abord, notre