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C’est une requête à émouvoir les cœurs les plus durs. Mais le temps n’est pas à la commisération. Les récits des témoins oculaires nous font assister à la séparation. Nous y voyons parfois des religieuses tout en larmes se tenir embrassées, et ne pouvoir en quelque sorte se résoudre à quitter ces asiles bénis où elles avaient fait vœu de vivre et de mourir. Ce spectacle déchirant attendrit plus d’une fois les contemporains. Ils se demandaient quelle raison de salut public pouvait commander ces exécutions qui brisaient des vies paisibles, et troublaient les consciences à de telles profondeurs. Il leur fallut bien partir, car ceux qui les plaignaient se contentaient de gémir. Où vont-elles ? Dans les directions les plus diverses. Un certain nombre partent pour l’étranger, puisque aussi bien le pouvoir n’avait pas tenu compte de cet appel adressé par les Carmélites de Gray à l’humanité des législateurs : « Les députés d’une nation généreuse ne voudront pas réduire des Françaises à la dure nécessité d’implorer la pitié des nations voisines, et de leur demander un asile que leur aurait refusé leur ingrate patrie. » Ce furent, parmi les religieuses contemplatives, les Carmélites qui fournirent le contingent le plus important, et d’ailleurs très réduit, à l’émigration. Par leur genre de vie, qui était déjà la mort au monde, par la nature de leurs vœux, elles portaient en quelque sorte toute leur vocation en elles-mêmes, et pouvaient la réaliser en quelque pays que ce fût. Les Sœurs plus mêlées à la société, dans le double apostolat de l’éducation et de la charité, devaient avoir plus de peine à quitter des œuvres qui tenaient aux entrailles du sol, et ajoutaient autant de liens à ceux qui les rattachaient à la France. Aussi les partantes furent le très petit nombre. La très grande majorité ne passa pas la frontière. La plupart rentrèrent dans leur famille ou se fixèrent près de leur couvent avec l’intention d’y rentrer, tantôt isolées, plus souvent vivant ensemble par groupes de trois ou quatre, ce qui leur permettait d’observer leur règle, et même de recevoir la visite de leurs supérieures. Les Sœurs hospitalières, qu’on ne pouvait pas remplacer, étaient restées à leur poste à titre individuel plus longtemps que les autres. Les administrateurs avaient souvent fermé les yeux sur le refus de serment. On en trouve encore dans les hôpitaux jusqu’en 1793 et 1794. Mais, à la demande des représentans envoyés en mission, la Convention finit par sévir. La loi du 3 octobre 1793 les proclama déchues de leurs fonctions et de leur pension de