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lecture ancienne. J’avais conservé le souvenir de Sire comme d’un roman très distingué. Il y est question d’une vieille demoiselle, fidèle au culte de Louis XVII, persuadée que le fils du Roi martyr n’est pas mort, travaillée de l’idée qu’un jour elle pourra le contempler. Pour contenter sa douce manie, des amis compatissans s’avisent d’un moyen de comédie. Elle veut voir Louis XVII ; ils lui font voir Louis XVII. Et la vieille légitimiste s’agenouille devant un comparse habilement costumé, comme devant la royauté française elle-même, toute la royauté légitime et malheureuse. Après quoi, elle vit contente, à moins qu’elle ne meure de joie, ou encore que désabusée elle ne revienne à la raison… Cela était gracieux et suranné, comme un air d’autrefois ; vieillot, falot et charmant comme un pastel demi-effacé. L’œuvre était courte, indiquée d’un crayon qui n’appuyait pas. Était-il possible de l’étendre en cinq actes, au jour cru de la scène, sans lui faire perdre ses nuances délicates et ses subtiles demi-teintes ? Même après expérience, et malgré toute la sûreté de main de l’auteur, je n’en suis pas entièrement convaincu.

En appliquant à un mince sujet les mêmes procédés dont ses grandes comédies lui ont fait une habitude, M. Lavedan se condamnait à d’inévitables longueurs. L’art des préparations veut qu’on ne nous laisse rien ignorer des personnages, de leur situation respective, de leurs antécédens et de leur milieu. Nul détail n’est superflu qui par la suite pourra servir à éclairer l’action et à la rendre vraisemblable. A le prendre par ce biais, Sire est une merveille d’agencement logique et de combinaisons méthodiques. Tout le premier acte est un acte d’exposition précise et minutieuse. La garde, la lectrice, le docteur, l’abbé viennent successivement et abondamment nous renseigner sur le « cas. » de Mlle de Saint-Salbi. Cette vieille demoiselle jouit d’une santé excellente et d’une constitution robuste, au point que, relevant à peine d’une fluxion de poitrine, elle peut sortir le 21 janvier, dans la matinée, sans qu’il y paraisse. Pareillement elle possède une pleine lucidité d’esprit et juge de toutes choses avec beaucoup de bon sens. Sur un point seulement elle déraisonne. Elle croit que Louis XVII n’est pas mort au Temple. (Mais, au fait, je me demande si c’est là un signe suffisant de déraison. Il me semble que la « question Louis XVII » fait encore l’objet de controverses entré savans historiens qu’on ne songe pas à enfermer pour cela.) Elle espère qu’elle ne mourra pas avant d’avoir, de ses yeux, vu le prince. C’est de cette idée fixe que le docteur et l’abbé veulent la guérir. C’est pour la guérir qu’ils se livreront à une mystification