Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/930

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

historien anglais n’était point tenu aux mêmes préventions ; et lorsque M. Bain, avec une conscience et une science exemplaires, dégage de tous les documens historiques contemporains la figure véritable de cet homme néfaste, force nous est de mêler à notre mépris un peu de pitié, en constatant qu’un grand nombre des fautes de Stanislas-Auguste lui sont venues des circonstances extérieures, fit de son éducation et de son caractère, comme aussi du temps où il a vécu, plus encore que d’une volonté expressément criminelle. Le prince qui, à deux reprises au moins, en 1768 et en 1792, s’est rendu coupable d’un reniement sans excuse n’était pas, au fond du cœur, le traître misérable qu’on pourrait supposer : il n’était qu’un pauvre homme dépouillé, par la « philosophie, » des principes d’action qui avaient autrefois compensé l’ignorance, la rudesse, l’absolue incompétence politique de ses pères ; et toujours, jusque dans ses momens de pire ignominie, « il a plus péché par sottise que par scélératesse. »

Le manque d’argent, cette maladie nationale de sa race, a également joué un rôle considérable dans les défections que ses compatriotes ne finiront jamais de lui reprocher. Quand son ancienne maîtresse et sa zélée protectrice Catherine, en 1764, lui a envoyé un cadeau de 100 000 ducats, pour la complimenter d’une élection qui, elle-même, n’avait été qu’un gage touchant d’amitié de la tendre princesse, Stanislas n’a pu lui offrir en échange qu’un panier de truffes ; et jusqu’au bout le nouveau roi devait se trouver ainsi dépourvu d’argent, malgré d’importans revenus qui fondaient dans ses mains aussitôt touchés. Comment aurait-il osé résister aux ordres les plus humilians de l’Impératrice, alors que, non content de recevoir d’elle des secours incessans, il ne s’arrêtait point d’emprunter de fortes sommes à ses ambassadeurs ? Pour la fameuse visite de Mme Geoffrin à Varsovie, c’était Repnine qui avait eu à lui avancer 20 000 ducats, sans compter bien d’autres occasions de petits services analogues. Repnine était-il, ensuite, remplacé par Volkonsky, immédiatement Stanislas demandait à ce dernier de lui prêter 10 000 ducats ; et la même aventure se renouvelait d’année en année, persistant à travers les nombreux changemens des diplomates que Catherine députait à la Cour de Pologne. En 1790, Stanislas devait cinq millions de florins à un banquier hollandais, et la même somme environ à son banquier de Varsovie, Tepper, qui bientôt allait payer d’une faillite désastreuse l’honneur d’avoir eu pour client le plus fastueux des rois de l’Europe. Et peut-être le « grand refus » dont je parlais tout à l’heure, — la honteuse