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les mœurs comme dans le mécanisme administratif de la vie polonaise, ses compatriotes eux-mêmes sont forcés de convenir que sa « philosophie, » jointe à sa naïve ambition de popularité, auraient eu des conséquences tout à fait excellentes à ce point de vue, si la même main qui essayait de panser les blessures de la nation n’avait point fini par lui infliger une plaie mortelle.


Mais la conclusion qui ressort le plus vivement, du livre nouveau de l’auteur anglais, ne concerne point la personne de ce malheureux prince, à jamais exclu de notre sympathie par son « grand refus » de 1792. Derrière lui, à toutes les pages du livre, c’est la nation polonaise tout entière que nous découvrons, avec des qualités qui, elles, rachètent amplement les défauts qu’elles accompagnent. Jamais, peut-être, la nature véritable de cette nation ne s’est mieux déployée que durant la crise tragique de son histoire, où l’imminence du danger lui a permis de prendre conscience de soi-même et de mettre au jour les élémens les plus cachés de son être intime. Et certes, parmi ceux-ci, aucun n’a plus de quoi nous émerveiller que la vitalité profonde d’une race qui, naguère encore, semblait vouée à une mort certaine, sa force prodigieuse de résistance et d’évolution.

« Certes, — nous dit un des meilleurs historiens français de cette période, — si le coup fatal avait été porté à la Pologne un demi-siècle auparavant, sous Auguste III, il en serait advenu d’elle ce qui, peu d’années après, advint de Venise. Mais désormais le germe de la vie avait refleuri en Pologne[1]. » En un demi-siècle, cette nation que l’on croyait morte avait réussi à redevenir l’une des plus vivantes de l’Europe, et cela, dans les conditions les plus défavorables, avec un trésor à peu près vidé, sous une occupation continue de troupes ennemies. « J’ai la certitude, — affirmait le prince Adam Czartoryski, — que la Pologne, en 1792, aurait pu être sauvée, si le Roi avait eu assez de courage pour monter à cheval, et assez de grandeur d’âme pour préférer son pays et son honneur à sa couronne et à son bien-être. » Il faut voir, dans le livre de M. Nisbet Bain, avec quelle rapidité singulière s’est accomplie cette renaissance, et par quel véritable miracle, notamment, une armée invincible est sortie de terre, pendant les quelques semaines qui ont suivi l’adhésion de Catherine à la funeste Confédération de Targowice.

Et plus encore nous émeut, dans le récit de ces quelques semaines

  1. La Pologne, par Charles Forster, 1 vol. in-8 ; Firmin Didot, 1840.