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rend bien l’attente, la curiosité qui grandissait autour de M. Lloyd George et faisait de lui le héros du moment. Une auréole de mystère l’environnait. Il allait punir les cabaretiers, coupables de faire échec aux radicaux dans les élections partielles. Il allait punir les Lords, coupables d’avoir rejeté, l’une après l’autre, toutes les lois importantes élaborées depuis 1906 et d’avoir paralysé ainsi la réforme sociale. Comment s’y prendrait-il ? C’était son secret.

En attendant l’heure de le dévoiler, le chancelier de l’Echiquier alla faire un petit tour en Allemagne. D’où vient cette singulière attraction qui pousse M. Lloyd George à caresser, à flatter, à étudier les Allemands comme des modèles ? Le souvenir du chien Bismarck et des prouesses accomplies en commun à l’époque où le futur chancelier de l’Echiquier n’était encore qu’un petit voleur de fruits, ne me paraît pas suffisant pour expliquer cette sympathie à l’égard des hommes et des choses de l’Allemagne. J’en vois deux raisons distinctes. La première : M. Lloyd George proteste par là contre l’esprit belliqueux qui incline aujourd’hui la société aristocratique ainsi que le monde industriel et commercial à une guerre contre les Allemands. La seconde, c’est qu’il y a, en effet, beaucoup de choses à étudier chez nos voisins d’outre-Rhin. Parmi ces institutions, celle dont M. Lloyd George désirait examiner, de près, le principe et le fonctionnement, était celle des retraites ouvrières. Il fut bien accueilli partout et il revint, comblé d’égards, bourré de documens.

Le 29 avril 1909, M. Lloyd George présentait au parlement le mémorable budget dont il allait être tant parlé. Son discours dura plusieurs heures ; il s’ouvrit par une dissertation politique qui eût semblé tout à fait déplacée dans la bouche d’un ministre des Finances devant toute autre Chambre que la Chambre des communes. Le baron Louis, dont on a cité tant de fois le fameux truisme, ne disait pas : « Laissez-moi faire ma politique, » mais : « Faites-moi de bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances. » Le chancelier de l’Echiquier a cru pouvoir discuter la cause des dépenses avant d’indiquer les sources des revenus. Dans cette introduction dogmatique et critique, M. Lloyd George se posait en ami de la paix à tout prix. Il traitait de « panique » le mouvement patriotique qui inspirait à la métropole et aux colonies tant de sacrifices pour la