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les premiers à crier. En frappant les cabaretiers anglais, ses vieux ennemis, M. Lloyd George avait indisposé des alliés dont le parti radical ne saurait se passer : les députés de l’Irlande déclarèrent qu’ils ne sauraient voter un budget qui ruinait une des industries vitales de leur pays, la production et la vente du whisky. Ainsi grossissait, autour du nouveau budget, le concert des plaintes et des malédictions. Tous ceux qui possèdent étaient atteints par l’accroissement des droits de succession. Mais c’est surtout aux propriétaires du sol que s’attaquait le chancelier de l’Échiquier ; c’est eux que visaient les mesures les plus agressives de son budget.

En cela, il suivait exactement les traces de son modèle, M. Chamberlain ! non pas, il est vrai, le Chamberlain « missionnaire de l’Empire » et réformateur économique, mais le Chamberlain de la première période dont j’ai exposé ici les doctrines et les tendances. Lui aussi détournait l’orage sur cette pauvre terre qui meurt. Pourtant, talent à part, il y a une grande différence entre le Lloyd George d’aujourd’hui et le Chamberlain de 1885. Quoique ce dernier se laissât volontiers accuser de faire du socialisme d’Etat, parce qu’il pensait que cette accusation ajouterait à sa popularité, en réalité il n’était rien moins que socialiste puisque son fameux plan, résumé par la formule : « Trois acres et une vache, » tendait, non à supprimer la propriété, mais à la morceler comme en France, à la faire passer aux mains du grand nombre. Tout autre est le rêve de M. Lloyd George, et le budget de 1909 est un commencement de réalisation de ce rêve. C’est la confiscation graduelle de la propriété individuelle au profit des corporations municipales et des conseils locaux. Le célèbre socialiste américain, qui porte le même nom que le chancelier de l’Echiquier, a indiqué le moyen légal d’arriver à la suppression de la propriété, et ce moyen est effroyablement simple : il consiste à grever la propriété foncière d’impôts supérieurs au revenu qu’elle donne. Dès lors, au point de vue économique et financier, elle vaudra moins que rien et quelques privilégiés seulement seront assez riches pour la garder encore un temps dans ces conditions onéreuses, comme un tableau de maître, un cheval de sang, un collier de diamans.

Personne ne conteste que le droit de propriété n’ait ses abus et, surtout en Angleterre, ces abus sont assez nombreux et assez crians pour donner beau jeu aux déclamations socialistes. Alors,