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la pensée des artistes de cet âge, dans les diverses raisons qu’ils pouvaient avoir d’adopter l’art nouveau ou d’y résister. « Caravage, dit Bellori, ne regardait ni les statues antiques, ni les peintures si célèbres de Raphaël, et ne prenait que la nature pour sujet de ses études. Lorsqu’on lui conseillait d’étudier les plus illustres statues de Phidias ou de Glicon, il se contentait, comme réponse, d’étendre la main vers la foule des passans en disant que la nature l’avait suffisamment pourvu de modèles. »

Son succès fut prodigieux. Mais les anciens maîtres défendaient leurs doctrines et ils trouvaient aisément les défauts de l’art nouveau. Avec raison ils reprochaient au Caravage de n’avoir pas d’imagination, de passer sa vie dans les cabarets et de n’avoir ni goût, ni choix dans ses sujets. Et ces critiques, qui n’étaient pas sans valeur, trouvaient leur écho dans le clergé : les prêtres condamnaient comme trop vulgaire la manière dont le Caravage représentait la Vierge, le Christ et les Saints. Le Saint Mathieu qu’il avait fait pour l’église de Saint-Louis des Français ne fut pas accepté parce qu’on trouva qu’il était sans dignité, qu’il n’avait ni l’attitude, ni l’air d’un saint, avec ses jambes croisées l’une sur l’autre et ses pieds trop grossièrement exposés aux regards du public. La même mésaventure arriva à sa Mort de la Vierge qu’il avait faite pour Sainte-Marie della Scala : elle fut refusée parce qu’on trouva qu’il avait trop fidèlement imité une femme morte avec son enflure. Et le clergé avait raison ; l’art si admirable en soi du Caravage ne pouvait convenir à l’expression des idées religieuses. Ses conséquences ont duré jusqu’à nos jours, mais au moment où il apparut il ne pouvait avoir à Rome qu’une influence secondaire. Le monde religieux voulait un art plus digne, plus noble, au risque de l’avoir moins vrai.

C’est ainsi qu’à Rome ni l’art des successeurs de Michel-Ange, trop inspiré de l’antiquité, ni l’art du Caravage, trop lié à la nature, n’offraient à la Papauté la forme idéale qu’elle désirait. Avant de dire comment l’école bolonaise allait trouver cette forme, il nous reste à montrer qu’à ce moment aucune autre école italienne n’était en mesure de pouvoir le faire.

Mettons tout d’abord de côté Florence qui ressemble singulièrement à Rome, et cela se comprend puisque, pendant tout le XVIe siècle, ce sont des Florentins qui dirigent les destinées de Rome et que deux grands papes du début du siècle sont