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des Médicis. A Florence, plus encore qu’à Rome, règnent les élèves de Michel-Ange, les purs disciples de la Renaissance, Bandinelli, Cellini, Danti, Ammanati : la Papauté n’a rien à demander à ces artistes impuissans à lui offrir autre chose qu’un art ayant cessé de lui plaire.

L’école vénitienne, la plus grande de l’Italie après la florentine, ne s’était pas aussi complètement laissé séduire par le style de la Renaissance, et, à ce titre, elle aurait pu être plus sympathique à la Papauté, mais elle avait un autre vice à ses yeux. Pas plus que l’école florentine de ce moment elle n’était chrétienne. Son art était devenu trop mondain, soit par suite de sa recherche trop exclusive de la beauté, soit par suite de sa subordination aux intérêts des grandes familles vénitiennes. Pour un vénitien, tout tableau a pour but, non d’exprimer une idée chrétienne, mais de chanter Venise, d’en célébrer la gloire et la grandeur. Les artistes vénitiens reprennent, en les poussant à l’extrême, les formes que les Médicis avaient demandées à Benozzo Gozzoli et à Ghirlandajo.

Le procès que le Saint-Office intenta à Paul Véronèse est un des plus singuliers et des plus notables événemens de l’art italien. Véronèse est traduit devant le tribunal de l’Inquisition, lui, le plus grand peintre de son époque, et dans une ville qui avait pu se vanter jusqu’alors de son indépendance à l’égard de l’autorité pontificale, et ce fait seul suffit à montrer l’étonnante puissance, la tyrannie, que la Papauté allait exercer sur toute l’Italie à la fin du XVIe siècle. Le tribunal demande à Paul Véronèse de se justifier du reproche d’hérésie ; il lui demande si, vraiment, il a voulu railler la religion en introduisant dans ses tableaux ces nains, ces bouffons, ces chiens, ces courtisanes, tout cet appareil de luxe et de fêtes qui semble vouloir transformer les scènes religieuses en débauches vénitiennes. Véronèse s’excuse humblement, il a quelque peine à comprendre qu’on puisse l’accuser de semblables fautes, tellement elles sont loin de sa pensée. Certes, non, il n’a pas voulu agir en hérétique ; il a agi simplement en artiste, en disciple de son temps, ne cherchant qu’à faire une œuvre charmante, toute pleine de vérité et de vie. Le tribunal accepte ses excuses ; il veut bien ne pas le considérer comme un criminel, mais sa sentence n’en reste pas moins terrible pour l’art vénitien, car elle déclare à Véronèse que de tels amusemens ne sont pas pour lui plaire et qu’il est