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qu’on lui prêtait, et refusa d’autre part d’intervenir comme le souhaitait Launay. La Prusse laissait Arnim parler, agir, échouer, et puis agir encore ; elle-même ignorait, elle-même s’abstenait. Profitant apparemment de l’importune complaisance de ce diplomate, Antonelli, le 7 octobre, voulut, pour l’instant, obtenir de la Prusse l’assurance que, si le Pape décidait un jour de quitter Rome, il pourrait compter sur l’appui de Berlin contre les résistances éventuelles de l’Italie. Bismarck, le 8, télégraphia à Arnim de répondre oui ; et, le même jour, il en prévenait Brassier de Saint-Simon et le chargeait d’en informer le gouvernement de Florence : « Sa Majesté, continuait-il, est convaincue que la liberté et la dignité du Pape seront respectées par le gouvernement italien en toutes circonstances, et même si le Pape, contre toute attente, projetait un changement de résidence. » Brassier avait mission d’ajouter que la Prusse ne voulait pas s’immiscer dans la politique d’un pays étranger, mais qu’elle avait des obligations envers ses sujets catholiques. Thile, qui, le 11 octobre, lisait à Launay ce texte de dépêche, lui faisait remarquer les mots : « contre toute attente, » et lui promettait que la Prusse ne pousserait pas Pie IX à quitter Rome.

Bref, les intrigues d’Arnim pressaient Pie IX de partir ; la dépêche laconique qu’il recevait de Bismarck promettait, en cas de départ, l’appui de la Prusse, sans faire aucune réserve sur le projet ; mais la dépêche de Bismarck à Brassier, les entretiens de Thile avec Launay, visaient à décharger la Prusse de toute complicité avec Arnim et de toute responsabilité directe dans l’exode éventuel du Pape.

Moins de trois semaines s’étaient écoulées depuis la prise de Rome, qui n’avait été décidée, et puis préparée, qu’avec un laissez-passer de la Prusse ; et, dans les conseils de sagesse que Thile donnait à l’Italie, on pressentait parfois une demi-gronderie, et un écho très distinct, un peu inquiétant, des murmures indignés par lesquels les catholiques de Prusse accueillaient les nouvelles de Rome. « La Prusse, écrivait Launay le 10 novembre à M. Visconti Venosta, ne veut aucunement se mêler de notre politique purement intérieure, mais on ne veut pas préjuger ce qui pourrait avoir trait aux rapports internationaux. » Thile, Bismarck, Arnim, Brassier, semblaient mettre dans leur accent des nuances différentes ; la politique prussienne manquait de clarté. Cela tenait-il à la complexité même des faits,