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« Grâce à Dieu ! les visites du jour de l’an sont finies, j’en ai par-dessus la tête. Je vous trouve bien heureux de vous être épargné cette année. M. le prince de Condé les a mieux soutenues que moi ; j’admire son courage et sa force pour faire ainsi, à son grand âge, mille choses dont il pourrait se dispenser ; mais c’est absolument inutile de le lui représenter. Il voulait encore retourner, hier, aux Tuileries ; mais le temps était si mauvais que nous sommes parvenus à le dissuader. Cela, sans doute, sera pour dimanche prochain.

« On est fort occupé ici, dans le moment où je vous écris, de l’exil du duc de Fitzjames[1] ; il a publié ses opinions d’une manière trop franche. Cela a déplu à certaines gens qui ne rougissent plus de rien, et il a reçu ordre de ne point paraître devant Sa Majesté. Hélas ! hélas ! il y aurait tant de choses à dire sur cela ; nos réflexions sont, sans doute, les mêmes. De toutes parts, je ne rencontre que des visages attristés.

« M. le Duc et Madame et Mademoiselle d’Orléans ont dîné ici, hier, ainsi que Mme la Duchesse de Bourbon. Cette dernière se plaint beaucoup que vous ne lui avez pas répondu. Les premiers m’ont beaucoup parlé de vous aussi. Il est impossible d’être plus gracieux qu’ils ne sont. Ils sont bien attentifs pour M. le prince de Condé et lui rendent des soins infiniment. Monsieur est venu le voir, il y a peu de jours, et est resté assez longtemps ; toujours aimable, il voudrait bien vous voir ici. Hélas ! il y en a bien d’autres, mais chacun comprend que le moment n’est point encore arrivé. La vie se passe ainsi, dans cette triste incertitude. Adieu, très chérissime, aimez-moi toujours comme je vous aime. »

Il semblerait d’après cette lettre que l’état général du prince de Condé ne laissait rien à désirer. Mais, le surlendemain, le comte de Rully, en écrivant au Duc de Bourbon, démentait les assurances optimistes de sa femme. « M. le prince de Condé se porte bien ; mais le moral est extraordinairement baissé depuis trois semaines et il n’a pas sa tête la moitié de la journée… Vous devez le regarder comme en enfance. Il est hors d’état de signer son nom avec connaissance de cause pour la moindre affaire. J’en avertis positivement Votre Altesse parce que c’est

  1. A la suite de son attitude anti-ministérielle à la Chambre des pairs, défense lui fut faite de paraître à la Cour. L’intervention du Comte d’Artois abrégea sa disgrâce.