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d’affaires. Comme cette existence est différente du temps où, à mon réveil, ma première pensée était de vous procurer quelque petit plaisir ! Hélas ! il n’y a plus de bonheur pour moi. Encore un peu de patience, ma petite ; ne venez pas ici avant que je vous le dise. J’éprouverais trop de difficultés, dans les circonstances actuelles, pour vous voir. Vous pouvez être certaine que je ne saurais me passer de vous et que je retournerai en Angleterre. Mais Dieu sait quand ce voyage me sera possible et combien je le désire, car je souffre cruellement ici. En attendant, mandez-moi tout ce qui peut vous intéresser. Prenez garde à votre chère santé. Vous êtes si jolie, si aimable ! Je vous embrasse mille et mille fois. N’oubliez pas votre vieil ami ; je vous suis si attaché. Adieu, ma chère, chère Sophie ! »

En ce qui touche la surveillance de la police autour du Duc de Bourbon, on ne saurait mieux finir que sur cette lettre qui apparaît ici comme le prologue du drame de Saint-Leu[1].


II

Quelque intéressantes que fussent pour la police les informations que lui envoyaient ses agens de Londres, elle attachait un tout autre prix à celles qui la renseignaient sur les dispositions des Français réfugiés en Allemagne et dans les Pays-Bas. Ce personnel se composait de ceux qu’avait proscrits l’ordonnance du 24 juillet 1815 et des régicides qui avaient dû quitter la France, à la suite de l’exception prononcée contre eux par la loi d’amnistie. Il s’était ultérieurement grossi de divers individus bannis par mesure de police ou volontairement fugitifs. Entre tous ces exilés, c’étaient les anciens serviteurs de Napoléon, généraux et fonctionnaires, que la police avait considérés d’abord comme les plus à redouter. Avant même d’être compris

  1. Le 14 juin suivant, un Anglais de passage à Paris écrivait à sa fille à Londres : « Le jour où le prince de Condé fut enterré et durant la cérémonie, le Roi sortit en voiture découverte. Dans les rues qu’il traversa au faubourg Saint-Antoine, les gardes du corps crièrent : « Chapeau bas ! — Pour qui ? demandait le peuple. — Pour le roi de France. — Où est-il ? — Dans cette voiture. — Cela n’est pas vrai. Le Roi ne se promène pas pendant qu’on enterre son cousin, le dernier des Condé. » Vous pouvez vous imaginer combien l’indignation était grande. Cependant cela n’empêcha pas le Roi de continuer son chemin. Il se rendit à Vincennes et passa par le lieu même où le duc d’Enghien avait été fusillé. » (Dossiers du Cabinet noir.) Le signataire de cette lettre ne comprenait pas que ce lieu, ce jour-là, était pour Louis XVIII, un but de douloureux et pieux pèlerinage.